Cent trente décès par jour, plus de 400.000 depuis 1999, des millions de poisseuses addictions, une urgence nationale décrétée en octobre 2017 par Donald Trump: la crise des opioïdes est, pour les États-Unis, un naufrage sanitaire et social d'une ampleur cataclysmique.
Si les responsables de ce drame sont légion, une entreprise incarne mieux leur cynisme que toutes les autres: Purdue Pharma. Propriété de la famille Sackler, la firme a commercialisé en 1996 l'OxyContin, une forme à diffusion prolongée de l'oxycodone, dont la dangerosité a été minimisée et qu'un marketing agressif a poussé vers le carton commercial.
Faillite d'un géant
Victime symbolique, expiatoire et sans doute logique de la crise, Purdue Pharma pourrait bientôt cesser d'exister. Les Sackler semblent avoir trouvé une porte de sortie pour mettre fin à une procédure judiciaire qui l'oppose à plus de 2.300 parties, dont 23 États.
Le New York Times relate qu'un accord semble sur le point d'être signé. Les termes de ce compromis stipulent que la société serait mise en faillite pour être remplacée par un nouveau laboratoire. Celui-ci continuerait à commercialiser l'OxyContin ainsi que d'autres molécules, mais les profits qu'il en tirerait serviraient à payer les personnes qui ont porté plainte.
Cette nouvelle entité aurait également l'obligation de fournir gratuitement des traitements contre l'addiction, dont certains sont encore en cours de développement. Les Sackler, eux, devraient se défaire de 3 milliards de dollars (2,72 milliards d'euros), ponctionnés sur leur fortune personnelle. L'opération coûterait de 10 à 12 milliards de dollars (entre 9,1 et 10,9 milliards d'euros) aux entreprises et aux responsables qui les dirigent.
Les Sackler saqués
Leur nom est fameux dans les milieux de la philanthropie muséale ou universitaire. Il ne semble plus y être le bienvenu. Certaines institutions ont déjà publiquement renié des dons de la famille Sackler alors que le Louvre, en juillet 2019, débaptisait l'aile des antiquités orientales portant le patronyme américain.
Si cette procédure n'est pas la première depuis le début des révélations qui ont émaillé la crise des opioïdes, elle est sans doute la plus symbolique, car la plus incarnée. Si elle n'est pas close, les défenseurs de l'accord estiment qu'elle constitue le moyen le plus sûr et le plus rapide pour faire payer la société.
Connecticut has not agreed to any settlement. Our position remains firm and unchanged and nothing for us has changed today. https://t.co/ZkbDQoNq7g
— AG William Tong (@AGWilliamTong) 11 septembre 2019
Certaines personnes ne sont pas satisfaites de la relative clémence de la transaction. Elles s'inquiètent de ne jamais voir les promesses de paiements se réaliser. «Le Connecticut n'a accepté aucun accord. Nous restons sur une position ferme et rien n'a changé pour nous», a twitté William Tong, le procureur général du Connecticut.
Des scientifiques des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) estiment que le «fardeau économique» des prescriptions abusives d'opioïdes s'élevait à 78,5 milliards de dollars en 2013.