Il a fallu dix minutes à Harvey Ball pour dessiner le smiley, cette tête ronde, jaune, avec un grand sourire et des points en guise d’yeux. L’artiste indépendant américain répond en 1963 à une commande de la State Mutual Life Assurance Company, une entreprise qui a besoin d’un design lumineux et fun pour remonter le moral de son personnel. Harvey Ball est payé 45 dollars pour son travail.
Mais le graphiste commet une grosse erreur: il omet de déposer une marque sur sa création. Pour lui, l’histoire s’arrête là. Celle du smiley en revanche, ne fait que commencer.
Dans l'histoire
À l’autre bout du monde, en France, Franklin Loufrani travaille au journal France-Soir. Nous sommes en 1971. Le journaliste est fatigué des infos négatives et décide de dessiner un symbole qui avertirait le lectorat des publications positives. Il paraît pour la première fois le 1erjanvier 1972, au-dessus du titre «Prenez le temps de sourire». Un symbole qui ressemble quasi trait pour trait à celui d’Harvey Ball –à ceci près que Franklin Loufrani, lui, n'oublie pas de déposer sa marque en France.
Reportage sur M6 hier soir : Loufrani et son Smiley (1971) vs. le dessin de Harvey Ball (1963) - https://t.co/YlGj5MoEBj pic.twitter.com/kUfEjvpURU
— MODELE DEPOSE (@ModeleDepose) 13 février 2017
«Vous pourriez dire qu’il y avait une visée politique ou sociale derrière son action, explique son fils Nicolas pour The Hustle. Mais c’était un acte commercial. Il voulait faire de l’argent.» La licence de marques –qui consiste à vendre à une autre entreprise le droit d’utiliser le nom ou l’image de sa marque pour un pourcentage sur tous les profits réalisés grâce à elle– est un tout nouveau type de business qui, à l’époque, n’était pas encore très populaire.
Le mouvement hippie des années 1970 est une aubaine que Loufrani s’empresse de saisir. L’entrepreneur imprime le smiley sur 10 millions de stickers qui font leur entrée dans la culture de masse en se retrouvant collés sur tous les parechocs de voitures –le business s’envole et Loufrani signe des contrats avec Mars ou Levi’s.
Chaque pays avait sa propre manière d’appeler le smiley, donc j’ai décidé qu’il nous fallait une marque.
Dans les années 1990, c'est le mouvement des rave party qui s'empare du smiley. Franklin Loufrani surfe sur la vague malgré l’image subsersive que véhiculent les ravers. Il contacte les DJ, vends des pins ou des T-shirts dans les clubs.
En 1996, le smiley a perdu de son attrait et les signatures de contrats de licence sont en perte de vitesse. C’est à ce moment-là que Nicolas Loufrani, le fils, reprend le business. «Chaque pays avait sa propre manière de l’appeler, donc j’ai décidé qu’il nous fallait une marque», se souvient-il. Il dépose le nom de marque «smiley» dans plus de 100 pays dans le monde –ce qui engendre entre autres une bataille légale de dix ans avec Walmart aux États-Unis.
Star d'internet
Nicolas Loufrani sent également le vent tourner avec internet et les téléphones portables. En 1999, contre l’avis de son père, il créé le tout premier set d’émoticônes. Il signe des contrats avec Samsung et Nokia dans les années 2000 et rassemble ses créations sous une nouvelle branche, SmileyWorld.
L'entrée d'Apple ou Microsoft sur le marché des émotions stylisées est un nouveau coup de frein pour la société de licence de marques. Mais les contrats de licences du logo smiley, qui étaient au point mort depuis 1996, reprennent du poil de la bête. «Le smiley était de nouveau cool», continue Nicolas Loufrani dans The Hustle.
Toujours gérée par le père et le fils, The Smiley Company rapporte aujourd’hui près de 500 millions de dollars par an (444 millions d'euros) grâce à des contrats de licences avec Nutella, Clinique, McDonald’s, Nivea, Coca-Cola, VW ou Dunkin’ Donuts.
Basés à Londres, les Loufrani père et fils travaillent avec quarante employé·es sur plus de 300 contrats de licence de leur marque qui vont des bonbons aux Rubik’s Cubes.