Le jeu, expliquait dès 1938 l'historien néerlandais Johan Huizinga dans Homo Ludens, est co-substantiel à la culture humaine. Quelques décennies plus tard, le concept de gamification (ou ludification) est partout.
De l'e-commerce avec Wish aux badges et gratifications pour les meilleur·es chauffeurs et conductrices Uber, des réunions plus funs grâce à Klaxoon aux applications ou appareils de santé qui récompensent une alimentation saine ou une pratique sportive régulière, mettre du jeu dans tous les domaines de la vie semble être devenu une habitude, au travail comme dans sa vie personnelle.
S'épuiser en s'amusant
Apprentissage, motivation, construction sociale: les bénéfices de la gamification sont nombreux. Pour les managers, elle permet d'accroître l'acceptabilité des tâches les plus pénibles et répétitives, en particulier dans les emplois à bas revenus.
Doit-on alors réellement s'étonner d'apprendre qu'Amazon s'essaie à la ludification de ses centres logistiques, où les conditions de travail ont souvent été décrites comme physiquement et moralement apocalyptiques?
Le Washington Post et Fast Company rapportent la mise en place de jeux solo, coopératifs ou compétitifs, dans lesquels les «eachers» (qui reçoivent et enregistrent les marchandises), «stowers» (qui les rangent dans les immenses rayonnages), «pickers» (qui vont chercher les objets d'une commande) et «packers» (qui les emballent avant expédition) peuvent transformer leurs fastidieuses tâches en petites missions vaguement ludiques.
Décrits comme optionnels, ces petits jeux peuvent mettre les salarié·es en compétition entre eux –ou contre eux-mêmes. De quoi, peut-être, donner un peu de couleurs à un fardeau quotidien que l'on sait lourd et lassant.
De quoi, surtout, les presser plus encore que ce n'est déjà le cas, et accentuer des tensions sous-jacentes: la gamification a certes du bon, mais le revers de la médaille peut être assez sombre.