Le Wall Street Journal, qui consacre un article assez drôle sur la question, raconte la petite histoire du négociant en vin, Tom Gearing, étonné de voir un taux d'alcool de 14,02% sur un cru proposé par un vigneron du Bordelais.
Ces 0,02% n'ont l'air de rien mais représentent pourtant un enjeu presque vital pour les exportateurs français. Car ils doivent faire face aux «tariffs» mis en place par l'administration Trump à la suite de la bisbille commerciale entre Boeing et Airbus, accusé de favoritisme étatique par les États-Unis.
Ces taxes douanières visent, entre autres, le très symbolique pinard français. Avec un biais cependant: seuls sont surtaxés les vins présentant un degré d'alcool inférieur à 14.
Dans le cas du vin étudié par Tom Gearing, un Château Cos d'Estournel, la différence finale est notable pour sa clientèle: si le breuvage passait sous la barre fatidique des 14% d'alcool, il devrait la vendre 161 euros, contre 129 euros grâce à ces minuscules 0,02%.
Le Wall Street Journal indique que les États-Unis importaient, chaque année et avant la surtaxe, 150 millions de dollars de vins européens à plus de 14%, contre 434 millions dans les douze mois ayant suivi la punition commerciale imposée par l'administration Trump.
Ivresse nationale
Cet ajustement des taux d'alcool ne concerne pas que les vins de Bordeaux: nombre de vigneron·nes européen·nes concerné·es ont vite compris l'intérêt financier de produire des vins plus forts. «Je passe quelques heures par jour à goûter des vins et à prendre des notes», explique Tom Gearing au quotidien. Et avec des vins qui gagnent parfois plus d'un degré d'alcool, «on sent clairement la différence à la fin de la nuit», plaisante-t-il.
Les négociants se sont naturellement précipités vers des vins plutôt forts, un désastre pour celles et ceux n'ayant pas adapté leur production en conséquence. «Les conséquences de cette surtaxe ont été brutales pour les vins de Bordeaux», constate Guillaume Clarke de Dromantin, responsable des exports vers l'Amérique de la Compagnie Médocaïne des Grands Crus. «Nous avons dû nous tourner vers des vins n'étant pas sujets à cette taxe, au détriment d'autres crus de qualité.»
La tendance est d'autant plus marquée que, du fait de la pandémie et des confinements qu'elle a provoqués, les Américain·es ont ces derniers mois augmenté leur consommation de vin –sans pour autant souhaiter payer le prix fort pour quelques dixièmes de degré d'alcool.
«Les gens qui ne buvaient pas du lundi au jeudi se sont mis à boire certains de ces jours, sinon tous. Mais ils font attention à ce qu'ils dépensent. Ils ne se voient pas ouvrir une bouteille à 50 ou 100 dollars un mardi soir», précise Christopher Lucchese, un caviste de Los Angeles.
C'est ainsi que Donald Trump a sans doute, sans le vouloir, provoqué l'ivresse massive des États-Unis, en cherchant à punir l'Union européenne: drôle d'effet papillon.