C'est un gros, gros billet dont le quidam moyen ne voit malheureusement que rarement la couleur violette. Et c'est un gros billet dont on ne pourra plus, dans un avenir proche, admirer le lustre et les promesses: le 27 janvier 2019, dix-sept des dix-neuf banques centrales de la zone euro ont arrêté leurs émissions de billets de 500 euros. Seules l'Allemagne et l'Autriche, où les paiements en liquide restent culturellement importants, ont obtenu un délai de trois mois avant de devoir arrêter de remettre en circulation ce si dispendieux bout de papier.
Couper l'herbe sous le pied des paradis fiscaux
Les plus touchés par cette disparition ne sont a priori pas les consommateurs et consommatrices européennes, mais les criminels en cols blancs, à blousons noirs ou amateurs d'AK-47: parce qu'il permet des transferts aux volumes plus discrets, le grand billet (160 x 82 millimètres) est très prisé par les pègres de toutes sortes. À tel point qu'il s'échange parfois entre mains sales à une valeur supérieure à celle de sa face, comme l'explique Europol dans un rapport intitulé Why is cash still king? («Pourquoi l'argent liquide est-il encore le roi?»)
Reprenant les analyses que l'économiste Kenneth Rogoff a notamment développées dans son ouvrage The Curse of Cash («La Malédiction du cash»), Quartz note cependant que ces sommes illicites en billets de 500 euros concernent surtout les évasions fiscales, plus que les entreprises terroristes par exemple, les montants transférés étant beaucoup plus importants.
Ancien économiste en chef au FMI, Rogoff a déclaré que cette mise au ban était «un petit pas mais une avancée constructive, et une admission tacite que les billets les plus chers sont énormément utilisés à fins d'évasion fiscale ou d'activités criminelles». Rogoff s'illustre, au-delà de ce cas particulier, par son combat contre l'argent liquide: il est un vieil opposant au cash, qu'il aimerait voir remplacé au plus vite par des monnaies électroniques.
L'un des arguments qu'il avance, outre ces questions de criminalité: la disparition de l'argent liquide offrirait aux banques centrales une plus grande lattitude pour jouer sur les taux d'intérêt pour leur permettre par exemple, en cas de crise majeure, d'opter plus aisément pour un taux négatif à même d'appuyer la relance des investissements.
Ceux qui souhaitent, au contraire, que pièces et billets continuent à faire partie de la panoplie quotidienne des moyens de paiement avancent plusieurs arguments: le liquide permet d'échapper à d'éventuelles surveillances étatiques illégitimes; certaines personnes gèrent plus facilement leurs dépenses si elles les font en cash; la confiance dans les banques n'est pas suffisamment établie; les sans-abris seraient totalement abandonnés par un système ou la monnaie physique a totalement disparu.