Une soirée étudiante banale sur le campus de l'université du Texas à Austin. La fête est organisée par une frat house, l'une de ces fraternités étudiantes désignées par trois lettres grecques.
Les personnes décidées à festoyer doivent présenter deux documents indispensables avant de pouvoir entrer: une pièce d'identité, qui prouve leur majorité, et leur smartphone ouvert sur leur compte Tinder U, un Tinder spécial pour étudiant·es.
«Scannez seulement pour vous inscrire!», proclame une affichette à l'entrée. Elle est accompagnée d'un QR code et de quelques conditions: habiter à moins de 8 kilomètres du campus, avoir entre 18 et 22 ans et disposer d'un compte Tinder qui précise en bio «UT Austin». Si vous êtes en couple? Qu'importe: sans compte, pas d'entrée.
Cette condition n'est pas uniquement un stratagème malsain inventé par quelques frat boys pour attirer des célibataires ou pour que tout le monde soit présumé en recherche de partenaire.
Dans la soirée, tout est décoré aux couleurs de l'app de rencontre. Drapeaux, logo tapissé partout, vêtements floqués; la fête est très officiellement sponsorisée par Tinder.
Marketing agressif
L'application, à l'instar de Bumble, une appli qui propose le même service mais dans laquelle les femmes doivent envoyer le premier message, mènent de larges campagnes marketing sur les campus américains, où se recrute une bonne partie de leur cible.
Les fraternités peuvent choisir l'une des deux sociétés et conclure avec elle un contrat de sponsoring exclusif. Les entreprises couvrent une partie des frais des soirées et fournissent toute une panoplie d'accessoires «brandés» à leur marque.
Le Houston Chronicle, média texan qui a le premier relaté ce phénomène, est parvenu à contacter un membre d'une fraternité qui a préféré rester anonyme. Selon lui, la somme d'argent initialement prévue dans le contrat peut être augmentée en fonction du nombre d'étudiant·es qui téléchargent l'application à seule fin d'entrer en soirée, suivant la logique d'un marketing pour le moins agressif.
Un représentant de Tinder explique. «Plus de la moitié de nos utilisateurs et utilisatrices ont entre 18 et 25 ans. Les étudiants sont notre cœur de cible. En plus de Tinder U, nous avons des programmes de stages étudiants en marketing qui se concentrent sur des partenariats noués au sein des campus». Des jeunes sont aussi payé·es pour influencer leurs semblables en faisant la promotion des applis sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle.
Ces contrats soulèvent de nombreuses questions. Forcer les étudiants –surtout les étudiantes– à se rendre disponibles, du moins numériquement, dans le but de pénétrer au sein de lieux connus pour leur culture machiste et les nombreuses agressions sexuelles qui y sont perpétrées, semble défier toute éthique. Mener des campagnes agressives de marketing dirigées vers des personnes à peine majeures –et probablement en état d'ébriété– n'est guère plus reluisant.