L'Europe vient d'interdire l'usage de la mention «sans» (tel ou tel ingrédient) jugée inutile et responsable d'attiser la peur des personnes qui consomment. | Kori Noti via Unsplash
L'Europe vient d'interdire l'usage de la mention «sans» (tel ou tel ingrédient) jugée inutile et responsable d'attiser la peur des personnes qui consomment. | Kori Noti via Unsplash

Cosmétiques: de la beauté green au marketing de la peur

Pour rassurer les consommateurs et consommatrices, les industriels remplacent les ingrédients réputés nocifs par d'autres actifs dont les effets sont encore peu connus.

«Sans parabens. Sans sulfates. Sans silicones.» Pour rayer la mention inutile, encore faut-il s'y connaître. Depuis quelques temps les emballages de cosmétiques ont l'air de plus en plus savants. La liste des ingrédients qui ne figurent pas dans les produits prend parfois autant de place que celle de leurs composés.

Là où le bio blesse?

«Quand on interroge les consommateurs sur la raison pour laquelle ils achètent moins de produits hygiène-beauté, le premier motif invoqué est leur inquiétude relative à leur composition et à leur qualité», explique en mars 2019 au média conso LSA Emily Mayer, directrice insights et communication d'Iri France.

Le cabinet d'études de marché a pu observer que, dans les grandes et moyennes surfaces françaises la vente de ces produits a diminué de 1,8% en valeur et de 2,1% en volume en 2018.

«En trois ans, les ventes unitaires ont baissé de 6,3% soit 138 millions de produits en moins et le chiffre d'affaires a chuté de 6,7% soit une baisse de 470 millions d'euros», résume la communicante. Elle lie également cette baisse à un manque d'innovations de rupture: «Les grands groupes se sont concentrés sur des reformulations et des lancements de gamme bio.»

C'est là que le bio blesse. Face à la défiance des personnes qui consomment et à leur volonté de se tourner vers des produits plus naturels, les industriels de cosmétiques conventionnels tentent de refaire une beauté à leur formule d'ingrédients controversés.

À défaut d'être vraiment «green» (naturelle) cette tendance pour le «clean» (la composition propre) les amène à mettre en avant quels ingrédients «toxiques» ont été laissés sur le banc de douche.

Juger de la toxicité en soi d'un composé s'avère assez artificiel: tout dépend de sa concentration dans une formule, de son adéquation avec les autres principes actifs, de la zone et du contexte d'application. Un déodorant aux sels d'aluminium appliqué sur des aisselles fraîchement rasées peut être jugé nocif tandis qu'il pourrait se révéler d'une relative innocuité sur une peau saine.

L'Europe plus stricte que les États-Unis

Les conservateurs conventionnels peuvent aussi être jugés toxiques par définition puisque leur rôle consiste à empêcher la prolifération de bactéries indésirables. Parmi eux, les parabens font partie des plus efficaces en étant les moins irritants.

S'ils sont soupçonnés d'être cancérogènes, l'étude menée par la chercheuse britannique Philippa Darbre qui a mis en évidence la présence de parabens dans des biopsies de tumeur du sein a été fortement contestée.

On peut lire des étiquettes plus ou moins absurdes telles que des huiles “sans parabens” qui n'en ont jamais eu besoin puisqu'elles ne contiennent pas d'eau et s'autoconservent très bien.
Bonnie Garner, experte en cosmétiques

«Elle a pourtant bénéficié d'une diffusion très large auprès du grand public qui refuse désormais d'utiliser des produits contenant des parabens, rappelle Bonnie Garner, experte en cosmétiques sur son média spécialisé btyaly.com. C'est malheureusement l'exemple parfait de la victoire de la parano et de la rumeur sur la réalité des faits.»

New article! Is the “non-toxic“ cosmetics' trend irrelevant? The “toxicity“ of certain ingredients used in our cosmetics is definitely a very hot topic. I definitely wanted to write about the subject, but with a little distance. It took me a while but the article is finally on btyaly.com (link in the profile page) ? ?⚠️ . ?? Nouvel article! La tendance des cosmétiques “non-toxiques“ est-elle absurde? Le débat autour de la “toxicité“ de certains ingrédients utilisés dans nos cosmétiques fait rage (merci 60 Millions de consommateurs ?) J'avais aussi envie d'écrire sur le sujet, mais en prenant un peu de distance L'article est sur btyaly.com/fr (le lien est sur la page du profil) ??⚠️ . #nontoxic #cleanbeauty #safecosmetics #green #skincare #beauty #btyaly #abbeatthealgorithm

Une publication partagée par BTY ALY (@btyaly) le

La diplômée de l'Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l'aromatique alimentaire (Isipca) complète: «Là où l'Europe bannit près de 1.500 ingrédients les États-Unis n'en interdisent que 30. C'est ce qui explique pourquoi cette tendance pour une beauté “non-toxique” prend tant d'ampleur outre-Atlantique et qu'elle contamine aujourd'hui le Vieux Continent. On peut lire des étiquettes plus ou moins absurdes telles que des huiles “sans parabens” qui n'en ont jamais eu besoin puisqu'elles ne contiennent pas d'eau et s'autoconservent très bien ou encore des après-shampoings “sans sulfates” alors qu'il s'agit d'agents moussants utilisés plutôt dans les shampoings.»

Angoisse globalisée

Si les produits vendus en France ne peuvent se revendiquer «non-toxiques», les États-Unis en font des caisses. Un phénomène qui alimente la paranoïa. Désormais tout le monde peut examiner d'un clic la liste des ingrédients qui figurent dans un produit (sans en connaître la concentration) grâce à des applications comme Yuka, Clean Beauty ou encore Quelcosmetic (lancée par le magazine Que Choisir) en France; ou encore Hwahae en Corée du Sud.

«C'est le système de notation qui les intéresse en priorité, moins le fait de comprendre à quoi sert tel ingrédient dans la formule. Ces applications proposent une solution qui peut paraître simple –elle est plutôt simpliste à mon avis– pour répondre à cette peur», analyse Bonnie Garner.

«Au Moyen-Orient, cette tendance s'exprime moins par des applications que par un retour aux produits naturels DIY, constate celle qui observe avec précision l'évolution du marché mondial. Aux États-Unis, ce sont plutôt des collectifs d'activistes privés comme l'Environmental Working Group (EWG) qui ont tendance à beaucoup communiquer sur la toxicité de certains ingrédients et qui notent des produits sur des sites dédiés.»

«Ils ont un écho retentissant, ajoute la spécialiste. Surtout quand ils sont relayés par des personnalités comme Kourtney Kardashian au Congrès des États-Unis (qui en a profité pour mentionner au passage combien les cosmétiques de ses sœurs Kylie Jenner et Kim Kardashian étaient sûrs). De nombreuses marques se fondent sur leurs recommandations.»

Les industriels ont tout intérêt à remplacer les ingrédients décriés par des alternatives moins connues du grand public mais parfois plus irritantes ou dont on ne connaît pas encore forcément bien effets sur la santé.

«Le souci, c'est que les marques jouent le jeu en communiquant de plus en plus sur les ingrédients controversés qu'elles ne contiennent pas au lieu d'éduquer les personnes qui les consomment sur la façon dont sont formulés les produits et sur l'utilité de certains composants dans une formule cosmétique», déplore Bonnie Garner.

La France, premier exportateur de beauté

Pourtant, l'Europe a toutes les raisons de garder bonne mine, comme nous l'explique l'experte actuellement basée à Dubaï. «En matière de cosmétiques la législation européenne compte parmi les plus strictes au monde. Les ingrédients les plus décriés sont déjà extrêmement régulés, comme tout le reste de cette industrie. Pour qu'un produit puisse se revendiquer “naturel” sa formule doit être composée d'au moins 95% d'ingrédients d'origine naturelle alors que 0.00000001% suffisent aux États-Unis.»

La crainte de se frotter à des ingrédients toxiques que renforce le discours écologique pourrait donc être endiguée par davantage de pédagogie. «La confiance peut être rétablie par une transparence accrue des marques», confirme Bonnie Garner.

«En indiquant par exemple le rôle de chaque ingrédient dans une formule de sorte que les consommateurs prennent conscience de leur rôle. Expliquer les causes d'une controverse avec à l'appui des sources scientifiques, des avis de toxicologues, de spécialistes de l'endocrinologie et de l'environnement pourrait rassurer la clientèle. Un consommateur plus éduqué et des marques plus transparentes me semblent être la clé d'un regain de confiance.»

C'est le sens d'une mesure prise par l'Union européenne (UE): depuis le 1er juillet 2019, une régulation plus instransigeante encore est entrée en vigueur qui stipule que la mention “sans” alertant sur l'absence de tel ou tel ingrédient ne serait d'aucune utilité, ce qui justifie qu'elle soit dorénavant interdite sur le territoire.

«La publicité doit proscrire toutes les déclarations ou représentations visuelles susceptibles de générer des craintes irrationnelles ou infondées», résume l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) en France.

Pendant que la population française se méfie, le reste du monde en profite. En 2017, la filière beauté a représenté 13,6 milliards d'euros d'exportations. Un record doublé d'une progression de 12% par rapport à l'année précédente, selon la Fédération des entreprises de la beauté (Fébea). Avec 25% de part de marché d'après Cosmetic Valley, la France s'impose comme le leader mondial du secteur. Parce que nous le valons bien.

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