Aux États-Unis, Amazon produit des catalogues de jouets qu'il distribue quelques mois avant Noël, comme le font certaines grandes enseignes en France. C'est de là que part la réflexion de Daisuke Wakabayashi, journaliste au New York Times: comment expliquer que les prix soient les grands absents de ce catalogue?
Cela n'a évidemment rien d'un oubli involontaire: les produits décrits dans le catalogue n'ont en fait pas de prix fixe. L'article décrit cette étrangeté comme la conséquence naturelle de deux décennies d'achats en ligne.
Il est loin, le temps où le e-commerce nous était vendu comme un gage de transparence qui devait nous assurer de pouvoir trouver le meilleur prix pour chaque article. Car c'est finalement le contraire qui se produit: les personnes habituées à acheter en ligne ont fini par perdre tout sens des réalités, et par ne plus avoir aucune idée de la valeur des choses.
La profusion d'articles sur des sites comme Amazon contribue à alimenter ce flou: il devient de plus en plus difficile de savoir à quel prix nous devrions réellement payer les biens non culturels.
Il faut dire que le site fondé par Jeff Bezos a mis la barre très haut en matière d'enfumage: des algorithmes ont en effet été développés afin de faire fluctuer les prix en question. Parfois de façon impressionnante.
L'article du New York Times prend l'exemple d'un paquet de serviettes en papier. En février 2021, celui-ci coûtait environ 26 euros 70. En avril, le prix avait chuté aux alentours de 20,5 euros, pour remonter de plus belle jusqu'à atteindre 31,2 euros en octobre. Aux dernières nouvelles, ce même article coûte désormais 25 euros.
Opacification algorithmique
En 2018, Glenn Ellison et Sara Fisher Ellison, profs d'économie, avaient signé un article qui annonçait ce phénomène: la technologie ayant permis de faciliter la recherche du meilleur prix, il fallait bien que les détaillants parviennent à trouver une parade, laquelle a consisté à «opacifier» sciemment les tarifs.
«En conséquence, les consommateurs payent davantage pour chaque chose», explique Glenn Ellison, qui ajoute que, pour les clients, le bilan est «presque exclusivement négatif».
S'il est possible de suivre l'évolution du prix d'un article vendu par Amazon, c'est grâce à un site dédié à ce sujet, Camelcamelcamel, qui propose également des extensions à installer sur son navigateur internet.
On y apprend par exemple qu'entre août 2021 et février 2022, le prix d'un certain pack de cartes Pokémon a changé à quatorze reprises, soit plus de deux fois par mois. Avec des variations impressionnantes, puisque le prix a varié entre 45,6 et 80,3 euros, pour une moyenne de 59,9 euros sur six mois.
Quel est le juste prix de ces articles principalement commandés en ligne? Personne ne semble plus capable de le déterminer. Contrairement à un litre de carburant, une tasse de café ou une baguette de pain, que nous achetons en personne dans des commerces physiques, ces biens pourtant matériels ont fini par perdre toute matérialité.
En parlant de «Juste Prix», le New York Times cite l'exemple de l'un des plus gros gagnants de la version américaine du jeu télévisé, Michael Stouber, qui a empoché une somme à six chiffres en 2019.
Il raconte l'anecdote suivante: l'an dernier, après avoir constaté que le prix du matériel de plomberie qu'il avait acheté sur Amazon avait fortement chuté en un mois, il demanda le remboursement de la différence, ce qui lui fut refusé.
Comme il n'avait pas encore utilisé ledit matériel, il décida alors de le retourner et de demander un remboursement, puis réitéra son achat en bénéficiant cette fois du prix le plus bas. Économie réalisée: 71 euros.
Va-t-il vraiment falloir en arriver là pour les utilisateurs du géant de la vente en ligne? «C'est devenu un jeu, résume Michael Stouber. Juste un jeu.» Un jeu désastreux pour l'écologie, au sein duquel achat et boursicotage ont fini par ne plus faire qu'un.