«Le secteur gagne énormément d'argent sur d'autres types de contrats qui ne sont absolument pas impactés actuellement», explique un courtier. | Aditya Chinchure via Unsplash
«Le secteur gagne énormément d'argent sur d'autres types de contrats qui ne sont absolument pas impactés actuellement», explique un courtier. | Aditya Chinchure via Unsplash

Festivals en crise: «La mauvaise foi des assurances n'est plus à démontrer»

Certaines compagnies refusent de mettre la main à la poche: la survie de nombreux événements est en jeu.

Après le temps du choc, voici celui de la gestion. Et il n'est pas plus aisé pour les festivals, qui voient semaine après semaine les reports et les annulations s'accumuler. Il y a un mois, le doute planait encore sur les rassemblements de cet été; aujourd'hui, on sait que le mois de septembre sera lui aussi fortement perturbé.

La résignation passée, il faut tenter de survivre. Penser qu'il suffit que ces événements, qui ont souscrit des assurances, se tournent vers les compagnies pour obtenir réparation serait une erreur: dans les faits, les choses sont bien plus complexes.

SRAS et effet domino

En premier lieu, peu de festivals ont été assurés contre ce type de crise sanitaire; les petits et moyens événements se passent bien souvent de ce filet de sécurité.

«Pour un évènement de 5.000 personnes bien implanté au niveau local, il y a peu de risques de se faire interdire par la préfecture. Donc ils économisent 15.000 ou 20.000 euros d'assurance, c'est compréhensible», expose Tommy Vaudegarde du collectif Technopol, qui réunit plus de 200 acteurs des musiques électroniques en France.

Bien sûr, ces festivals souscrivent à une assurance responsabilité civile ou tous risques matériels. Mais pas à une assurance annulation: pour eux, les pertes sèches vont faire très mal.

D'autres sont en revanche dûment assurés. La presse a très largement relayé l'exemple du Hellfest, contraint d'annuler alors qu'il devait se tenir du 19 au 21 juin. Dans les clauses d'exclusion du contrat, il est stipulé au milieu de beaucoup d'autres éléments qu'en cas d'épidémie de SRAS, l'assurance ne fonctionne pas. Selon la compagnie Albingia, le Covid-19 est un SRAS, pas question donc de débourser un centime.

La décision de ces assureurs est très contestée. C'est un bras de fer: s'ils lâchent sur un, ils lâchent sur tous, et ça va coûter énormément d'argent.
Un courtier en assurance ayant requis l'anonymat

S'il n'est pas unique, le cas du Hellfest est néanmoins globalement isolé. «L'assurance annulation, c'est vraiment une assurance spécifique», souligne Grégory Fouché, administrateur de production du festival Jazz à Sète, qui devait avoir lieu du 13 au 21 juillet. «Sur les festivals avec lesquels je travaille, on ne la prend pas avant de savoir précisément ce qu’on va devoir assurer soir par soir, c'est-à-dire généralement deux mois au plus tôt avant l'événement», poursuit-il.

Depuis janvier et la reconnaissance du Covid-19 comme pandémie par l'OMS, impossible de s'assurer contre la crise sanitaire actuelle, puisque l'événement est connu –autrement dit, on n'assure pas une voiture alors qu'elle est en train de foncer dans un arbre. Le marché de l'assurance a des règles très strictes, et celle-ci en fait partie.

Un courtier en assurance préférant garder l'anonymat («C'est particulièrement chaud sur le marché en ce moment, on évite de prendre des positions ouvertes») dénonce la fâcheuse tendance des compagnies à se réfugier derrière le terme de SRAS dans une telle période.

«La question de savoir si c'est un SRAS ou pas est scientifique, et la décision de ces assureurs est très contestée, commente-t-il. C'est un bras de fer: s'ils lâchent sur un, ils lâchent sur tous, et ça va coûter énormément d'argent. Mais c'est plus que contestable. Le Hellfest a tenté de négocier, mais ils n'ont pas encore trouvé de terrain d'entente. La position de son assureur, comme bien d'autres, c'est de ne pas céder, sinon c'est l'effet domino.»

David contre Goliath

Les pertes pour les compagnies d'assurance risquent certes d'être élevées, mais elles ne représentent pas grand-chose face au désarroi de leur clientèle. «Les sociétés d'assurance devraient s'en sortir, prédit le courtier. Elles sont elles-mêmes assurées auprès de ce que l'on appelle un réassureur.»

«Les pertes vont être considérables, poursuit-il, mais il faut garder en tête quelque chose qui me choque particulièrement: le secteur gagne énormément d'argent sur d'autres types de contrats qui ne sont absolument pas impactés actuellement. Il y a les contrats auto, puisque les voitures ne roulent pas et n'ont pas d'accident, ceux sur les accidents professionnels, puisque les gens sortent moins pour travailler, sur les les cambriolages, puisque les gens sont chez eux… Les sommes dans ces secteurs sont monstrueuses, les assureurs continuent de gagner beaucoup d'argent. C'est proprement scandaleux.»

Pour les plus grosses structures, il est possible de négocier avec leur assureur. À des points techniques, on peut en rétorquer d'autres. Mais qui aura réellement la force de s'opposer à de telles sociétés, quand on sait que les procédures peuvent durer des années?

La position d'une partie du marché qui ne veut rien payer est catastrophique pour l'image des assurances. Les gens ont l'impression de se faire rouler, et je les comprends.
Un courtier en assurance ayant requis l'anonymat

«La mauvaise foi des assurances n'est pas à démontrer, assène Grégory Fouché. Il y a souvent des conflits, beaucoup de cas qui vont devant les tribunaux. Heureusement que les courtiers sont là pour nous défendre. Une fois, on a mis quatre ans à avoir gain de cause contre un assureur.»

Sauf que pour gagner cette bataille, il faut des ressources, de l'énergie, l'envie de se battre –tout ce qui manque cruellement en ces temps de crise. «Les plus petits vont se faire écrabouiller», avertit Tommy Vaudegarde.

Malgré tout, il faut se garder de mettre toutes les compagnies d'assurance dans le même sac. Le courtier continue: «Certaines font bien les choses. Elles proposent aux festivals qui doivent reporter en septembre de les assurer contre tous les autres risques –attentats, intempéries, etc. Et si l'événement n'a pas lieu à cause du Covid-19, on annule le contrat, ils ne le paient pas. On essaie de jouer le jeu comme ça. Mais la position d'une partie du marché qui ne veut rien payer est catastrophique pour l'image des assurances. Les gens ont l'impression de se faire rouler, et je les comprends.»

Malheureusement, beaucoup de sociétés ne souhaitent aujourd'hui plus prendre le risque d'assurer un festival prévu pour l'automne. Un contrat, c'est un contrat, alors lorsqu'une compagnie d'assurance s'engage, elle doit s'assurer d'avoir suffisamment d'argent pour couvrir les sinistres.

Celles qui refusent aujourd'hui de payer en se cachant derrière des arguments techniques discutables se rendent compte que les engagements qu'elles ont pris sont largement supérieurs à ce qu'elles estimaient acceptable. Tout le marché est touché, et personne n'aurait pu prévoir un tel séisme.

Les subventions à la rescousse?

On évoque souvent les exemples des festivals de musiques actuelles ou des petits festivals locaux, mais il existe bien d'autres évènements, aux modèles économiques parfois éloignés.

Jean-Michel Mathé est directeur du Festival international de musique de Besançon Franche-Comté, un rendez-vous incontournable de la saison de musique classique. «Un festival comme le nôtre reçoit beaucoup d'argent public, un taux de subventionnement important, explique-t-il. Dans ce secteur, on a moins l'habitude d'aller vers les assurances, puisque les événements sont souvent moins gros et ont lieu dans des lieux couverts, ce qui réduit les risques de pertes d'exploitation en cas d'annulation.»

«Quand vous êtes dans l'opéra, très subventionné, illustre Jean-Michel Mathé, la billetterie représente parfois seulement 15% du budget; vous n'allez pas prendre une assurance qui couvre principalement les pertes en billetterie. Un festival en plein air de 150.000 personnes voit souvent sa billetterie représenter 90% de ses revenus. Les conséquences ne sont pas les mêmes. En contrepartie, les événements subventionnés se doivent de payer les gens, de maintenir l'emploi.»

On aura le devoir moral de payer les artistes français, les techniciens le plus possible. Les prestataires et les artistes étrangers, c'est beaucoup moins sûr.
Jean-Michel Mathé, directeur du Festival international de musique de Besançon Franche-Comté

Pour le Festival de musique de Besançon, qui doit se tenir du 11 au 20 septembre, les pertes devraient être moins sevères que pour les évènements organisés en plein été, puisque les subventions ont été maintenues (du moins celles déjà votées).

«Elles devraient être versées, oui, mais sûrement au prorata de ce qu'on aura dépensé, précise Jean-Michel Mathé. On aura le devoir moral de payer les artistes français, les techniciens le plus possible. Les prestataires et les artistes étrangers, c'est beaucoup moins sûr. Et je ne parle même pas des hôteliers ou des restaurateurs, qu'on n'utilisera pas et qui auront un sérieux manque à gagner. Ce qui est certain, c'est qu'il est hors de question que l'on fasse un euro de bénéfice cette année.»

Rendez-vous subventionnés, peu subventionnés, assurés, pas assurés… Le monde du spectacle vivant n'a rien d'homogène et s'apprête à gérer la crise au cas par cas –une façon de faire qui n'est pas vraiment inscrite dans la culture des compagnies d'assurance. Pour ne pas se retrouver face à un mur, le secteur culturel va devoir jouer serré, ou bien accepter la dure réalité.

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