La course à la découverte du vaccin contre le Covid-19 a débuté dès lors que celui-ci a été identifié en Chine en janvier. D'ores et déjà marathonienne, elle aura finalement un air de triathlon. Car après la recherche, viendra le temps de la production et de la distribution, et les problématiques scientifiques risquent de se retrouver prises entre deux autres feux, politiques et économiques ceux-là.
Quand Sanofi nous dit «Notre intention et notre but sont de rendre les vaccins disponibles pour le monde entier», on a bien sûr très envie de croire cette parole officielle. Pour autant, impossible de ne pas craindre des manques de ressources matérielles et humaines pour permettre une production en masse.
Difficile aussi de ne pas redouter une mise à l'écart des pays en développement, ainsi que des armes de protectionnisme et de chauvinisme scientifique qui restreindraient l'accès au vaccin.
Cette crainte est partagée par l'OMS qui, dans son communiqué du 24 avril, affirme clairement la nécessité de mener de front la recherche d'un vaccin et la préparation des différents acteurs à une distribution accessible à tous et à toutes, globale, et sans nuire aux autres thérapeutiques.
«Nous reconnaissons que même s'il est essentiel de développer et de déployer des produits innovants, ce ne sera pas suffisant, est-il ainsi écrit. Nous devons simultanément et de toute urgence accélérer le renforcement des systèmes de santé durables et des capacités pour pouvoir distribuer les nouveaux outils de lutte contre le Covid-19 à ceux qui en ont besoin et pour atténuer les répercussions sur d'autres maladies. Nous retenons les leçons du passé, qui ont montré que [...] trop souvent certains sont protégés, tandis que d'autres ne le sont pas. Cette inégalité est inacceptable; tous les outils permettant de combattre le Covid-19 doivent être mis à la disposition de tous.»
Dans cette même logique, Emmanuel Macron a exprimé le 4 mai son souhait que le futur vaccin soit «un bien mondial de l'humanité».
L'union fait la force
Avant même la découverte d'un vaccin, les laboratoires nouent des alliances pour que la production s'effectue dans les meilleurs délais. C'est le cas notamment de Sanofi et GSK, qui ont fait part d'un accord assez surprenant.
Cet «accord est une lettre d'intention et un accord de transfert de matériel par lesquels Sanofi et GSK évalueront la voie technique pour développer et produire un vaccin contre la pandémie de Covid-19, explique t-on chez Sanofi. Plus précisément, GSK mettra à disposition son adjuvant propriétaire, AS03, pour faire progresser les travaux non cliniques et cliniques sur le programme SARS-CoV-2 recombinant de Sanofi. L'adjuvant sera utilisé dans ces études pour stimuler la réponse vaccinale, à doses différentes afin que davantage de vaccins soient disponibles. Les sociétés ont l'intention de négocier un accord de licence et d'approvisionnement lié à AS03 pour une application en cas de pandémie.»
Ceci leur permet d'afficher une certaine confiance. «Compte tenu de notre plateforme technologique et de nos capacités de fabrication, Sanofi dispose de l'infrastructure pour développer de 100 à 600 millions de doses de vaccin Covid-19 au cours d'une année civile, avec l'objectif de s'étendre à plus d'un milliard de doses en douze mois. Nous serons en mesure de produire un vaccin Covid-19 à grande échelle sans interférer avec notre fabrication de vaccin contre la grippe.»
L'autre géant pharmaceutique Pfizer Inc. a conclu un accord de collaboration mondiale (à l'exception de la Chine) avec BioNTech, pour codévelopper le premier vaccin potentiel de BioNTech contre le coronavirus.
La mise en place rapide de cette collaboration s'appuie sur la coopération en matière de recherche et développement dans laquelle Pfizer et BioNTech se sont engagés en 2018 pour développer des vaccins à base d'ARNm pour la prévention de la grippe.
Cette collaboration vise à faire progresser rapidement de multiples candidats vaccins Covid-19 vers des essais cliniques chez l'être humain sur la base des plateformes de vaccins à ARNm exclusifs de BioNTech. BioNTech et Pfizer travailleront également ensemble pour commercialiser le vaccin dans le monde entier (à l'exception de la Chine, qui est déjà couverte par la collaboration de BioNTech avec Fosun Pharma), dès son autorisation de mise sur le marché.
Nul doute que l'appareil de production sera prêt. Il existe de très gros centres de production de vaccins en Europe. Nous pourrons donc vacciner rapidement la population lorsque le vaccin sera au point et que l'AMM sera obtenue.
De son côté, la firme biotech américaine Moderna Therapeutics a annoncé que son vaccin, en cours de tests cliniques, pourrait être produit à hauteur d'un milliard de doses par an sur les sites de l'entreprise suisse Lonza à Portsmouth (New Hampshire, États-Unis) et à Viège (Valais, Suisse).
Notons qu'aussi bien Sanofi que Moderna ont reçu des financements de la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority, agence de financement des projets médicaux de pointe du ministère de la Santé américain). Ces budgets sont destinés à soutenir les essais cliniques mais aussi à augmenter la production.
GSK a également noué des relations avec la CEPI, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies, une nouvelle entité internationale encore méconnue du grand public créée en 2017 et que la pandémie actuelle met aujourd'hui à l'épreuve.
Frédéric Lagarce, professeur de biopharmacie et vice-doyen de la faculté de santé d'Angers, se veut rassurant quant aux capacités de production des laboratoires: «Un même laboratoire peut produire des millions de doses (certains lots de vaccins dépassent le million de doses en un seul lot) en quelques jours ou semaines. La firme peut aussi dédier plusieurs chaînes de production à un même vaccin pour augmenter les volumes. Les procédés de production vont être réfléchis en parallèle de la recherche. Nul doute que l'appareil de production sera prêt. Il existe de très gros centres de production de vaccins en Europe. Nous pourrons donc vacciner rapidement la population lorsque le vaccin sera au point et que l'AMM [autorisation de mise sur le marché, ndlr] sera obtenue. De plus, nul doute que plusieurs labos sont déjà sur le pied de guerre pour mettre au point un vaccin; il se pourrait dont qu'il y ait plusieurs vaccins différents qui arrivent en parallèle.»
Quand bien même un seul vaccin serait disponible et un seul laboratoire détenteur du brevet, la situation ne serait pas bloquée. «Vu l'enjeu de santé publique, il est possible que le gouvernement demande le partage du brevet ou accorde des licences d'exploitation d'un même brevets à plusieurs laboratoires; ce cas est prévu», assure Lagarce.
Entre incertitude et réassurance, Nathalie Coutinet, économiste de la santé, note qu'«il existe aujourd'hui différents scénarios totalement inédits mais le rôle joué par la CEPI pourrait permettre l'exploitation d'un brevet relativement large».
Ces accords et les éventuels partages de brevet devraient aussi permettre de limiter les risques de pénuries en matières premières.
Un vaccin, mais à quel prix?
Se pose aussi la question des coûts de mise à disposition du vaccin. Matthieu Montalban, également économiste de la santé, explique que la production de vaccins est «un processus long, complexe et cher, avec des coûts fixes élevés qui nécessite une main-d'œuvre hautement qualifiée». Toutefois, c'est un marché rentable sur le long terme où il est possible de réaliser des économies d'échelle –il est en l'occurrence évident que, compte tenu de la population candidate à la vaccination dans un contexte pandémique, ces économies pourront être faites.
Il s'agira d'une lutte entre les pouvoirs politiques et les firmes, et tout dépendra des lois de chaque pays. Les gouvernements ne seront pas en position de force pour négocier mais cela ne sera pas non plus l'intérêt des firmes de proposer un prix trop élevé.
Chez Sanofi, on nous assure que l'entreprise est «pleinement engagée à travailler avec les gouvernements, les partenaires et les payeurs pour s'assurer que lorsque de nouveaux vaccins seront approuvés, ils seront disponibles et abordables».
Du côté de Pfizer, l'intention affichée est la même: «Nous nous efforçons de mettre au point ce vaccin potentiel aussi rapidement et sûrement que possible pour contribuer à répondre à la pandémie. Notre prise de décision n'est pas guidée par une analyse coûts/bénéfices. Un large accès est important: la rapidité, la sécurité et la disponibilité sont nos moteurs.»
Pour autant, les labos seront-ils tentés d'être gourmands? La question du contrôle des prix est un sable mouvant. «Il y a trop d'inconnues pour répondre à cette question, signale Frédéric Lagarce. Il s'agira d'une lutte entre les pouvoirs politiques et les firmes, et tout dépendra des lois de chaque pays. Les gouvernements ne seront pas en position de force pour négocier mais cela ne sera pas non plus l'intérêt des firmes de proposer un prix trop élevé.»
Matthieu Montalban précise: «La France est un pays à prix bas concernant les médicaments, et le contrôle des prix sera assuré par le CEPS [Comité économique des produits de santé] en fonction du service médical rendu, notamment.»
C'est au niveau européen que les choses pourraient bloquer: «Il n'y a pas de système de prix ni de système de protection sociale harmonisé: cela peut éventuellement poser problème pour l'échelle de valeur mais je ne pense pas qu'il faille s'en inquiéter pour les vaccins.»
Nationalisme et realpolitik
«La gestion de la pandémie exacerbe la realpolitik, déplore Lucie Guimier, géographe, spécialiste de la vaccination. L'exemple du président américain Donald Trump en est la caricature la plus criante, lui qui utilise cette crise sanitaire pour asseoir sa posture nationaliste à travers la négociation de masques destinés à d'autres pays sur le tarmac, une tentative de rachat d'un laboratoire allemand développant un vaccin, ou encore le gel des subventions américaines à l'OMS. Cette dernière décision, hautement symbolique, est une insulte à la coopération multilatérale contre le virus.»
La découverte puis la production et la distribution d'un vaccin, alors que l'OMS espère une coopération mondiale, peuvent-elles exacerber des tensions politiques entre pays ou des relents nationalistes?
Des spécialistes s'en émeuvent déjà, comme Dr. Emily Cousens, chercheuse à Oxford dans un article du HuffPost. Elle craint ainsi que, si son université découvre le vaccin, «il ne soit utilisé comme il l'a été par le passé, pour remplir une fonction politique et patriotique de preuve de l'excellence britannique». Pour elle, «l'histoire serait claire: une fois de plus, la Chine aura déclenché une menace pour la civilisation. Mais les meilleurs cerveaux du Royaume-Uni auront sauvé le monde.»
Si des sentiments nationalistes se développent, des comportements protectionnistes sont-ils à redouter? Sans doute pas dans un premier temps. Frédéric Lagarce se montre assez confiant sur la question. «En vitesse de croisière, les firmes qui fabriquent et développent le vaccin voudront avoir le plus possible de ventes. Je pense que le risque de protectionnisme est, en revanche, possible en cas de pénurie de principe actif. Mais, si un nouvel actif est développé, on peut faire le pari que la firme ne demandera pas qu'à un seul pays ou un seul continent de le produire. Et cette production peut se faire sur différents sites, s'ils sont certifiés par les agences de santé.»
Gageons que l'OMS aura un rôle déterminant et espérons que son souhait se réalise: il serait inconcevable qu'en contexte pandémique le nationalisme, le protectionnisme et le libéralisme privent certaines populations d'un vaccin.