Sam Bankman-Fried: grosse tête, énorme fraude. | Saul Loeb / AFP
Sam Bankman-Fried: grosse tête, énorme fraude. | Saul Loeb / AFP

Liquidateur d'Enron, l'homme chargé de la banqueroute de FTX n'avait jamais vu un tel bordel

Fraudes, amateurisme et gestion par émojis: le naufrage d'un géant des cryptos.

«Jamais dans ma carrière je n'avais vu un tel échec complet.» Cinglante, la phrase n'a pas été écrite par un parfait inconnu mais par John Ray III, chargé par la justice américaine de mettre en œuvre le plan de banqueroute de FTX, la plateforme d'échange de cryptomonnaies dont l'effondrement menace l'ensemble du secteur.

Et John Ray III connaît son affaire: il a notamment été à la barre du géant de l'énergie Enron lors de sa chute en 2001, l'une des plus retentissantes faillites de l'histoire économique moderne –soit un gadin de 60 milliards de dollars.

Sans pitié pour le jeune patron de FTX, Sam Bankman-Fried (SBS), ce violent constat d'échec a été écrit noir sur blanc par John Ray III sur l'un des premiers documents officiels remis à l'occasion de la banqueroute de l'édifice branlant.

Ce que l'on peut lire de cette analyse préalable est effarant, plus édifiant encore lorsque l'on sait les sommes évaporées (600 millions de dollars ont disparu d'une manière étrangement frauduleuse) et le nombre de personnes auxquelles la plateforme doit de l'argent (plus d'un million) et qui risquent fort de ne jamais revoir leur mise.

Supervisant désormais les conséquences de ce qu'il désigne comme une «débâcle sans précédent», John Ray III décrit un chaos gestionnaire absolu: la comptabilité inexistante d'une pourtant vaste entreprise économique; des chiffres pipeautés ou au doigt mouillé auxquels il affirme ne pouvoir se fier; et des pratiques internes pour le moins exotiques.

Celles et ceux qui se souviennent des frasques managériales d'Adam Neumann, patron déchu de WeWork après l'effondrement brutal de sa licorne cassée, seront en terrain connu. «De l'intégrité compromise de systèmes, d'une surveillance fautive des opérations à l'étranger, à la concentration du pouvoir dans les mains d'un groupe très réduit d'individus sans expérience, peu sophistiqués et potentiellement compromis, cette situation est sans précédent», est-il ainsi écrit.

Rien qui va

Un exemple? Fin septembre, Sam Bankman-Fried déclarait que FTX et les sociétés lui étant liées possédaient pour 5,5 milliards de cryptomonnaies: en réalité, FTX International n'avait réellement la main que sur 659.000 dollars de ces choses. En outre, le rôle du Bahamas et de sa législation semble trouble, avec un possible siphonnage de fonds à la clé.

Comme Mt. Gox, plateforme qui connut un fameux naufrage en 2014, FTX était géré à la petite semaine, voire n'était pas géré du tout: selon le document remis par John Ray III, les cadres de la firme ne s'embarrassaient, par exemple, apparemment pas de réunions. Les discussions les plus sensibles entre Sam Bankman-Fried et ses bras droits se faisaient via des systèmes non sécurisés, des boucles de mails auxquelles quiconque avec un peu de bagout en piratage auraient pu avoir accès.

Le jeune patron faisait également un usage immodéré de messageries comme Signal pour esquiver les regards trop indiscrets sur certaines de ses communications et décisions les plus importantes.

Quant aux chiffres liés à la banqueroute, il est difficile d'entrer dans les détails comptables: de manière stupéfiante, et malgré l'énormité des opérations financières transitant par FTX, il semble que la firme ne tenait pas de registre de ses échanges et des comptes détenus.

Ce genre de laxisme presque philosophique –«Fuck les régulateurs», a clamé SBS devant un journaliste de Vox– a permis quelques largesses pour le moins curieuses, comme l'achat au Bahamas, sur les deniers de l'entreprise et sans contrôle, de logements pour les salariés de FTX. D'autres dépenses plus ou moins importantes n'étaient justifiées par aucune facture officielle et approuvées sur Slack par de simples emojis.

Même si l'entreprise a été auditée, John Ray III dit par ailleurs ne pouvoir faire véritablement confiance à ces études, apparemment pour le moins légères. L'une des entreprises chargées de cette tâche, Prager Magis, se présentait ainsi comme «la première à ouvrir son quartier général dans le métavers de Decentraland», ce qui, avouons-le, fait plus penser à une partie de Minecraft qu'au décorticage maniaque de milliers de tableurs Excel par une armée de comptables.

Quid des ressources humaines de FTX? Inexistantes, comme le reste: une liste complète du personnel n'a pu être fournie, pour la simple raison qu'elle n'existait pas, que les postes n'étaient pas formellement définis et que les contrats n'étaient, semble-t-il, même pas écrits noir sur blanc.

Sam Bankman-Fried aurait perdu en quelques jours l'intégralité de sa propre fortune, estimée avant la dégringolade à 16 milliards de dollars. Autrefois au sommet et désormais dans les limbes, FTX semble être un exemple parfait de ce que les désirs de dérégulation totale peut faire naître chez les plus incompétents et irresponsables des dirigeants crypto-enthousiastes: une immense fraude n'ayant tenu que sur du vent et finissant par coûter une fortune à des millions de personnes.

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