C'est un curieux embrouillamini de pétrole russe et de tankers géants qui se joue ces jours-ci au large des Açores, archipel portugais planté au milieu de l'océan Atlantique.
Selon Bloomberg, qui rapportait déjà de louches transferts dans la zone début juin, pas moins de trois tankers russes ont soudainement «plongé dans le noir» ces dix derniers jours, pour reprendre une expression consacrée dans le milieu maritime.
Dans le cas d'un navire, ces notions de «going dark» ou de «dark activities» («activités sombres») décrivent l'extinction de son automatic identification system (AIS), système de localisation lui permettant d'être visible de ses pairs et d'être suivi à la trace sur des plateformes spécialisées comme Vessel Finder.
La technique est connue –et surveillée– depuis des lustres, utilisée pour organiser nombre de transactions et transferts de biens et matériaux visés par des sanctions internationales, dans le cas de l'Iran ou du Venezuela, par exemple.
Cache-cache
Une chose semble étrange cependant dans le cas de ces activités maritimes interlopes au large des Açores. Décidées à la suite de l'invasion de l'Ukraine par Moscou, les sanctions européennes sur le pétrole russe n'entreront en pleine vigueur qu'en décembre, et l'or noir de Moscou a encore nombre de débouchés tout à fait légaux.
La Chine est ainsi devenue son plus important acheteur, et l'Inde profite également de considérables rabais pour augmenter fortement ses importations.
Pourquoi alors ces bien mystérieux tankers, qui parfois transfèrent discrètement du pétrole d'un navire à l'autre, procèdent-ils à ces «plongées dans le noir»?
Bloomberg comme Business Insider avancent une théorie. Dans un monde où, en attendant la ferme entrée en vigueur des sanctions officielles, nombre de choses sont encore dans une zone grise et incertaine, il pourrait s'agir de l'œuvre de grandes firmes de l'univers des hydrocarbures souhaitant masquer quelques-unes de leurs nombreuses transactions.
Car si celles-ci s'autorégulent en s'imposant des «sanctions morales», elles ne sont pas à l'abri d'être mises face à une excellente affaire, à côté de laquelle l'appât du gain impose de ne pas passer.
Pour vivre heureux et plus riches, vivons cachés: afin de s'éviter un éventuel scandale public ou une grève de dockers solidaires du peuple ukrainien, ces petites manœuvres peuvent leur permettre une grande discrétion, donc quelques juteux profits.