La crise liée au coronavirus a et va avoir des conséquences dramatiques pour l'économie ainsi que pour les individus qui la font tourner. Un nombre important de grosses multinationales n'étaient pas assez préparées à un pareil choc.
Ces dernières années, la plupart des grandes compagnies ont eu tendance à ne surtout pas s'asseoir sur leurs profits. En 2014, le PDG d'American Airlines déclarait qu'«avoir plus de cash que ce dont l'entreprise a besoin n'est pas une bonne utilisation du capital de nos actionnaires».
Les firmes qui n'effectuaient pas, comme certaines géantes de la tech, des acquisitions massives de start-ups, ont fait une «bonne utilisation» de ce capital en rachetant leurs propres actions, une opération destinée à faire augmenter mécaniquement la valeur des parts détenues par les actionnaires.
Ce mouvement de fond concerne les compagnies aériennes mais encore pétrolières, avec Exxon Mobil, de télécommunication avec AT&T, ainsi que MacDonald's, IBM, Coca-Cola, General Motors, etc.
Quand les marchés financiers se portent bien, une telle politique est très appréciée des actionnaires, qui voient augmenter la valeur de leur patrimoine comme celle leurs dividendes. Berkshire Hathaway, le richissime fonds de Warren Buffett, a même décidé au cours de cette période d'investir dans les compagnies aériennes –une décision que le milliardaire a amèrement regrettée lors de son dernier meeting.
Shootées à la dette
Les entreprises sont devenues tellement friandes de ces rachats qu'elles n'ont pas uniquement englouti leurs profits: elles se sont aussi considérablement endettées, poussées vers l'emprunt par les taux d'intérêts bas.
Une enquête de Forbes révèle que lors de la dernière décennie, 455 entreprises du S&P 500 (les 500 plus grosses entreprises américaines cotées en bourse) ont augmenté leur dette commune de 2.500 milliards de dollars [2.250 milliards d'euros]. Sur la période, elles ont en moyenne triplé leur niveau d'endettement.
Avec la crise liée au coronavirus, revenus et profits ont fondu comme neige au soleil, quand ils ne laissaient pas place à de colossales pertes. La dette, quant à elle, est toujours là, et les firmes ne possèdent plus aucune marge de manœuvre pour affronter la crise.
Tout le monde était pourtant prévenu des risques encourus: en 2019, le secrétaire général de la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale des États-Unis, alertait les sociétés du S&P 500 sur le poids intolérable de leur dette.
«Non seulement le volume de la dette est très haut, mais sa croissance récente est concentrée sur une forme de dette risquée», expliquait Jerome Powell, évoquant une «falaise du triple-B», BBB étant la notation d'une dette de mauvaise qualité.
Afin d'éviter les faillites, la Fed a finalement décidé de se porter au secours des entreprises et de racheter elle-même une partie de cette dette risquée, et notamment des junk bonds, ou obligations pourries.
Mais pour certain·es expert·es, cette opération créée un «aléa moral» –un effet pervers. Le risque est que les entreprises comprennent qu'elles sont trop importantes pour que l'État les laisse s'effondrer et prennent pour acquis que, quoi qu'il arrive, la Fed leur servira de filet de sécurité. Pourquoi assainir son comportement si, y compris lorsqu'il est fautif, on ne le met pas en face de ses responsabilités?