Un porte-conteneur passant par l'actuel détroit du Bosphore, ou «İstanbul Boğazı» en turc. | Ozan KOSE / AFP
Un porte-conteneur passant par l'actuel détroit du Bosphore, ou «İstanbul Boğazı» en turc. | Ozan KOSE / AFP

Le canal Istanbul, la folie des grandeurs de Recep Tayyip Erdoğan

Ce mégaprojet destiné à faciliter le franchissement du détroit du Bosphore suscite le scepticisme.

Le 27 juin dernier, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a posé en grandes pompes la première pierre du pont Sazlidere, l'un des six viaducs qui enjambera le futur canal Istanbul.

Ce dernier est le dernier mégaprojet nourri par le dirigeant turc pour faire rayonner son image de bâtisseur. Durant ses dix-neuf années de règne, Erdoğan a ainsi coulé du béton à tour de bras: nouvel aéroport à Istanbul, tunnels ferroviaires et routiers, immenses centres hospitaliers...

En 2017 ont aussi débuté les travaux d'un pont sur le détroit des Dardanelles, qui devrait être le plus grand pont suspendu au monde, et le pays va également inaugurer en 2023 sa première centrale nucléaire à Akkuyu. «Aujourd'hui, pas une semaine s'écoule sans qu'un nouveau tronçon d'ouverture d'autoroute, un aéroport ou une ligne de train n'entre en service», ironise Al Jazeera.

Mais pour Erdoğan, le canal Istanbul sera véritablement le joyau sur la couronne qui «changera à jamais» la ville natale du président. Avec ses 45 kilomètres de long, ses 27 mètres de large et ses 21 mètres de profondeur, il reliera d'ici six ans la mer Noire à la mer de Marmara, et sera «treize fois plus sûr» que le passage par le détroit du Bosphore, dont il réduira de 90% le trafic, selon les prévisions du gouvernement.

«45.000 navires empruntent le Bosphore chaque année, et les projections montrent que ce chiffre atteindra les 78.000 en 2050», a affirmé le président lors d'une rencontre avec des étudiants, le 4 juillet dernier.

Le canal permettra également de faire passer des porte-conteneurs géants de plus de 350 mètres, pour qui le Bosphore est aujourd'hui impraticable. Le président joue même sur la corde écolo affirmant sans rire que son canal est «le projet le plus écologique du monde».

Vieux rêve ou nouveau cauchemar?

La construction d'un canal sur le Bosphore est en réalité un vieux serpent de mer. Il y a 500 ans, le sultan Soliman le Magnifique nourrissait déjà le projet, rappelle Al Jazeera.

Proposé par Erdoğan il y a onze ans, ce «projet fou», comme il l'a lui-même surnommé, fait pourtant l'objet d'une multitude de critiques de tous bords (dont le maire actuel d'Istanbul lui-même, Ekrem İmamoğlu).

La première concerne le financement du projet, chiffré à 14,6 milliards de dollars (12,3 milliards d'euros). Un coût exorbitant censé être couvert par les droits de péage des navires traversant le canal.

Sauf que ce financement s'appuie sur des prévisions de trafic plus qu'optimistes, avec 68.000 passages en 2039, note France 24; ces dernières années, le trafic a plutôt eu tendance à diminuer, notamment en raison des nouveaux oléoducs et gazoducs qui sont beaucoup moins chers pour le transport du gaz.

Les prévisions sont d'autant plus incertaines que le passage par le Bosphore restera gratuit, ce qui risque d'être peu incitatif.

Les craintes portent également sur l'engagement d'Ankara envers la Convention de Montreux, par lequel la Turquie garantit l'accès du détroit de Bosphore aux navires civils en temps de paix, tout en limitant le passage des navires de guerre.

Les Russes y voient eux une menace supplémentaire, le canal permettant aux flottes de l'Otan de gagner plus rapidement la mer Noire. Quant à l'environnement, plusieurs voix s'élèvent pour mettre en garde contre une pollution accrue de la mer Méditerranée, le canal «aspirant» les eaux polluées de la mer Noire, et sur le destruction des lacs et rivières alimentant la capitale en eau potable.

Peu importe pour Erdoğan, pour qui le canal va participer à sa légende. Le chef de l'État n'hésite pas à se comparer à Mehmet II le Conquérant, le sultan ottoman qui avait «fait passer ses navires par la terre» lors de la prise de Constantinople en 1453. Un argument qui laisse les Stambouliotes de marbre, alors que le pays s'enfonce dans la crise économique et l'inflation.

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