Bernard Madoff, Theranos, Enron, Wirecard… Lorsque les grands scandales financiers éclatent, une question revient systématiquement: comment ont-ils fait pour s'en sortir si longtemps? Comment, alors que le monde des affaires est surveillé, scruté et analysé de toute part, les escrocs parviennent-ils à glisser aussi durablement entre les mailles du filet?
Dans un article pour le Financial Times, Dan McCrum a tenté d'y répondre. Cette question, le journaliste se l'est souvent posée puisqu'il est à l'origine des révélations sur Wirecard, une société de technologie financière allemande qui s'est effondrée en 2020 après avoir inventé de toutes pièces la somme colossale de 1,9 milliard d'euros, qui était censée correspondre à son bilan annuel.
Wirecard était l'une des sociétés les plus en vue du pays. Des centaines de banquiers, investisseurs, analystes et régulateurs ont eu l'occasion de jeter un œil à son fonctionnement. Seulement, d'après McCrum, cette grande exposition était paradoxalement un avantage: dans ce genre de cas, les escrocs manipulent ce qu'ils nomment la «psychologie institutionnelle».
L'économie moderne repose en grande partie sur la confiance que nous avons en sa structure, sur le fonctionnement de tous ses garde-fous. Douter de l'un des rouages, c'est douter de toute la machine. Ainsi, lorsque le mensonge arrive devant nous, nous imaginons qu'il a forcément dû être vérifié par quelqu'un en amont. Plus le mensonge prend de l'importance, plus il est crédible.
«Pour un banquier, il est aussi logique d'aller visiter toutes les branches d'une entreprise qui demande un prêt que d'aller vérifier la santé de la vache avant de boire un verre de lait», explique le journaliste.
Plus c'est gros, plus ça passe
Ce réflexe de confiance pousse à ne même pas prendre de précautions pourtant très simples: souvent, un peu de bonne volonté et quelques efforts pourraient mettre au jour les fraudes reposant sur du vent.
Lors du scandale Sino-Forrest en 2011, par exemple, une entreprise sino-canadienne d'exploitation forestière évaluée à 7 milliards de dollars à la bourse de Toronto s'est effondrée après des révélations sur sa gestion et sur ses actifs forestiers, bien moindres que ce qu'elle prétendait. Personne n'avait pensé à aller vérifier en Chine si les arbres qu'elle prétendait posséder étaient bien là.
Le problème est qu'une fois que notre confiance est accordée, nous avons tendance à répondre aux accusations de manière émotionnelle. «Lorsque vous êtes investi dans quelque chose, vous voulez le voir réussir et vous ne faites plus attention aux détails anormaux», explique Martina Dove, autrice du livre Psychologie de la fraude – Persuasion et techniques d'arnaque.
C'est pour cette raison que, même si leur argent et leur réputation sont en jeu, les investisseurs et régulateurs ne cherchent pas la petite bête – au contraire, ils tentent plutôt de l'ignorer.
Dans le cas de Wirecard, le mécanisme était si efficace que le gendarme financier allemand BaFin a carrément préféré enquêter sur les journalistes attaquant son poulain que sur l'entreprise elle-même.