La guerre en Ukraine coûte de plus en plus cher à la Russie, et cette tendance pourrait s'installer sur du beaucoup plus long terme que de simples remous conjoncturels.
Car comme l'explique Bloomberg, en plus de la récession dans laquelle l'économie du pays est entrée et des dommages importants subis par l'industrie russe, étouffée par les sanctions occidentales, c'est tout le marché du travail qui est durement touché. Et les conséquences pourraient traîner sur des années.
Le phénomène n'est pas nouveau, mais chacune des décisions du Kremlin semble l'amplifier. Dès les premiers jours de la guerre, celles et ceux qui le pouvaient, généralement de jeunes actifs très qualifiés, ont fui le pays en masse. Cet exode a notamment coûté (très) cher au secteur russe de la tech, dépeuplé de ses cerveaux les plus brillants et risquant d'effectuer un grand bond en arrière.
Et cela ne s'arrange pas: selon les chiffres cités par Bloomberg, le nombre de postes vacants dans le secteur russe des nouvelles technologies a encore augmenté de 15% en octobre. Ce n'est pas un hasard si le Google local (et la fierté nationale) Yandex a fini par éclater sous la pression.
Mais cette crise de la main-d'œuvre concerne l'intégralité du marché du travail, en particulier depuis la décision de Vladimir Poutine de procéder à une mobilisation partielle, qui a amputé l'économie du pays de 300.000 paires de mains.
Elle a de surcroît provoqué un deuxième exode, par tous les moyens possibles. Dans la panique générale, des hommes ont même traversé le détroit de Béring en bateau pour échapper à leur funeste sort.
Les fantômes ne travaillent pas
Selon une étude de l'institut moscovite Gaidar, un tiers des industries du pays se retrouve devant un manque d'effectif, soit le «crunch» le plus grave depuis 1993.
Du fait de la conscription, le bassin des travailleurs masculins a ainsi diminué de 2%. Cela semble peu, mais c'est colossal, et suffisant pour placer de nombreux secteurs en zones de haute tension. La Russie n'est pas non plus aidée par sa démographie, depuis longtemps désastreuse: le groupe des personnes âgées de 20 à 24 ans représente aujourd'hui 7 millions de personnes, contre 12 il y a une décennie.
À Novossibirsk, ville la plus peuplée de Sibérie, les autorités locales peinent à trouver des employés pour déneiger les rues. Partout dans le pays, le secteur agricole court sans réussite derrière les spécialistes et conducteurs de machines. Nombre d'usines russes ne pourraient quant à elles augmenter à nouveau leur production si la demande venait à revenir.
Mais ce qui ne reviendra pas, quelle que soit l'issue de la guerre décidée par le Kremlin, ce sont les innombrables morts qu'elle fait quotidiennement. Selon les autorités ukrainiennes, la Russie aurait en effet récemment atteint les 90.000 décès sur le champ de bataille, un chiffre qui ne prend même pas en compte les estropiés et les traumatisés à vie.
Le drame est bien sûr avant tout humain mais, pour le pays, il finira aussi par être économique: les fantômes ne travaillent pas, ne consomment pas, ne se marient pas, ne font pas d'enfants.