Vous ne connaissez peut-être pas son nom, mais Mariana Mazzucato est l'une des économistes les plus influentes au monde. Autrice notamment de The Entrepreneurial State en 2011, ses recherches chamboulent les paradigmes du capitalisme moderne.
Comme l'explique un article de Wired, ce sont les conservateurs britanniques, avec lesquels elle a fini par collaborer étroitement, qui ont déclenché chez Mazzucato l'envie de renverser les perspectives.
Leur politique d'austérité a en particulier attiré son attention. Mise en place au Royaume-Uni après la crise de 2008, elle s'est accompagnée d'un fort désengagement de l'État et d'un discours violent contre les fonctionnaires, présentés par David Cameron comme des «ennemis de l'entreprise».
«Ils misaient tout sur les entrepreneurs et rejetaient tout le reste, se souvient l'économiste. Il y avait cette croyance que si nous n'avions pas de Google ou de Facebook européens, c'était parce que nous n'avions pas embrassé l'approche du libre marché de la Silicon Valley. Ce n'était que de l'idéologie: il n'y avait pas de libre marché dans la Silicon Valley.»
Start-up nation ou nation start-up?
Pas de libre marché, car ce que le mythe présente comme le fruit du génie individuel est souvent une réussite collective, permise par l'investissement initial des États, souligne Mazzucato.
Ainsi, l'algorithme de recherche de Google n'aurait peut-être pas existé sans une bourse délivrée par la National Science Foundation. Tesla a reçu 465 millions de dollars (soit 423 millions d'euros) de l'US Department of Energy. Au total, Elon Musk a bénéficié de 4,9 milliards de dollars d'aides publiques diverses pour trois de ses compagnies, dont SpaceX.
Protocole HTTP, internet, GPS, microprocesseurs, écran tactile: un grand nombre des technologies fondamentales ayant mené à l'iPhone ont été financées par des programmes étatiques, universitaires ou militaires.
«L'histoire nous apprend que l'innovation est le résultat d'efforts collectifs massifs, pas juste d'un petit groupe d'hommes blancs de la Silicon Valley», insiste Mariana Mazzucato, renversant ainsi le storytelling classique de l'efficacité individuelle contre les pesanteurs des États.
Changement de paradigme
L'économiste précise qu'il ne faut pas concentrer tous les efforts sur la redistribution des richesses, mais réfléchir aussi à leur création. Pour cela, elle souhaite que des ensembles d'organisations, orientées sur des missions spécifiques, s'emparent de l'initiative, prennent les risques initiaux et commencent à façonner un marché dont pourront ensuite s'emparer les acteurs privés.
Mazzucato a désormais l'oreille d'Elizabeth Warren, candidate démocrate américaine à la popularité grandissante. Elle a également aidé Alexandria Ocasio-Cortez à affiner son discours et son projet de Green New Deal.
La Commission européenne l'a chargée de réfléchir à diverses missions de recherche, notamment dans le domaine de l'écologie et du développement durable, tout comme les Nations unies.
Les thèses de Mariana Mazzucato séduisent largement: discrètement mais sûrement, l'économiste redessine les paradigmes économiques modernes. Comme le pointe Quartz, elle pourrait même sauver le capitalisme de ses propres turpitudes.