Entre la pression des pouvoirs publics et celle des actionnaires, les grandes multinationales sont de plus en plus incitées à réduire leurs émissions et à laisser tomber les énergies fossiles. L'ensemble de ce que la presse anglo-saxonne nomme «Big Oil» est concerné: le mouvement concerne même les géants historiques du pétrole comme TotalEnergies ou Shell.
Cependant, l'abandon des énergies fossiles par les principales multinationales énergétiques ne signifie pas leur abandon tout court. Ainsi, lorsque ces entreprises pétrolières décident de «pivoter» vers le renouvelable, elles ne démantèlent pas leurs branches polluantes: elles les vendent au plus offrant.
Cité par le Financial Times, le consultant en énergie Wood Mackenzie estime qu'en cumulé, ExxonMobil, Chevron, BP, Shell, Eni et TotalEnergies ont vendu l'équivalent de 23,7 milliards d'euros d'actifs gaziers et pétroliers depuis 2018. La tendance devrait se poursuivre, voire s'amplifier: aujourd'hui, ce sont plus de 100 milliards d'euros d'actifs qui se trouvent sur le marché.
Mais qui peut bien vouloir racheter des hydrocarbures que l'industrie juge voués à l'abandon? Un certain nombre d'entreprises, souvent non cotées en bourse, sont prêtes à prendre le risque. C'est par exemple le cas de la société britannique Ineos, spécialisée dans la chimie.
Tout doit changer pour que rien ne change
Le pari est d'autant plus risqué que ces ventes ne concernent souvent pas des stocks qui peuvent être écoulés rapidement, mais qui risquent de devenir des «stranded assets», ou actifs irrécupérables. Cette appellation désigne les actifs rendus inutiles ou inutilisables par l'innovation ou les transformations sociales et politiques.
Dans le cas des énergies fossiles, ce sont des hydrocarbures encore sous terre et qui attendent d'être exploités. Ce qui pourrait bien ne jamais arriver si les politiques publiques se donnent les moyens d'atteindre les objectifs des accords de Paris.
En mars, Ineos s'est ainsi porté acquéreur du gaz et du pétrole de la Hess Corporation, une entreprise danoise, pour 150 millions de dollars. Pourtant, le gouvernement Danois a prévu d'arrêter sa production de pétrole d'ici 2050.
La mer du Nord voit arriver des firmes de capital-investissement privées qui récupèrent les installations des grands groupes. Aux Philippines, Shell est remplacé par Udenna, un conglomérat local, et ainsi de suite: les grands ne font que laisser la place à de plus petits.
Ces ventes sont «le moyen le plus rapide pour une entreprise majeure d'atteindre ses objectifs liés au climat, mais [elles] ne font rien pour le changement climatique: vous déplacez juste les émissions d'une main à une autre», explique un analyste interrogé par le Financial Times.