C'est une petite musique que l'on entend de plus en plus régulièrement en Occident, et qui fait la joie de la propagande russe: les sanctions prises par les pays occidentaux à l'encontre de Moscou, à la suite de son invasion de l'Ukraine, ne fonctionnent pas.
Non seulement ces mesures seraient inutiles mais, est-il parfois expliqué, elles seraient même contre-productives, permettant à Vladimir Poutine d'enrichir son pays notamment grâce aux prix records atteints par l'énergie sur les marchés mondiaux.
Il est vrai que la dégringolade est moins immédiatement visible qu'il n'y paraît, et même le Fonds monétaire international (FMI) convenait, fin juillet, que le pays avait mieux absorbé le choc qu'anticipé. Il est vrai également que le rouble fait mieux que résister, grâce à une action énergique –mais non tenable dans le temps– de la banque centrale russe.
Il est vrai, enfin, que le pétrole russe a trouvé, en Chine ou en Inde, deux importants nouveaux débouchés –mais, c'est notable malgré des revenus immédiats importants, ce sont des clients au rabais et le marché est déjà à la baisse.
Pourtant, nier le marasme économique russe en cours et à venir semble tenir du mensonge pur et simple. En mars, des économistes expliquaient même que la guerre en Ukraine pourrait faire faire un bond de trente ans en arrière à l'économie russe.
Le pays souffre notamment d'une fuite des cerveaux sans précédent, qui risque de peser très lourd dans l'avenir de la nation. Par ailleurs très dépendante des technologies et de l'informatique occidentales, l'industrie russe souffre –et ses tanks utilisent désormais des composants destinés à des lave-vaisselle.
Fin juillet, un rapport publié par l'université Yale expliquait ainsi que le mythe d'une économie russe résiliente face à une économie occidentale usée par le jeu de la guerre de l'énergie était «tout simplement faux»: les dégâts sont massifs, Moscou est dans le dur et, sa manne énergétique pouvant se diriger vers un déclin à mèche lente et au long cours, risque de l'être de plus en plus.
Et si celles et ceux qui refusent de croire à cette thèse préfèrent une source interne à la Russie, qu'ils se rassurent: Bloomberg en a dégoté une. Le média américain a ainsi eu accès à un rapport confidentiel, rédigé à la demande du Kremlin, et qui dessine un présent sombre et un avenir noir pour le pays.
Dégringolade
Si la Russie explique publiquement que la récession sera limitée à 3% en 2022, le rapport est beaucoup moins d'optimisme. Trois scénarios sont ainsi décrits. Dans le meilleur des mondes russes, 2023 verrait une contraction du PIB de 3,8%, avant de revenir à -1,3% de son niveau d'avant guerre en 2024.
Dans un scénario nommé «inertiel», la glissade serait de 8% en 2023 et, en cumulatif, de 6% l'année suivante. Dans le pire des cas, ce serait une dégringolade de 11% que subirait l'économie du pays l'an prochain, et resterait à -11,9% en 2024 par rapport au niveau d'avant l'invasion.
Dans le scénario médian, l'économie russe ne reviendrait à son niveau d'avant-guerre qu'en 2028, dans le pire elle resterait à -3,6% en 2030 par rapport à 2021. Le rapport note que le pays subit un blocus de fait, qui handicape fortement ses capacités à l'export. Il prend également acte du départ des spécialistes en informatique, cruciaux pour l'avenir du pays –ils seraient plus de 200.000 à avoir quitté la Russie depuis le début du conflit.
Le document prévient, enfin, que les baisses des exportations du pétrole, de métaux, de produits chimiques pour le bois, pourraient être si durables que «ces secteurs cesseront d'être les moteurs de l'économie».
Quant à la coupure du gaz destiné à l'Europe, si elle est une nouvelle difficile pour cette dernière, elle pourrait coûter chaque année à l'État russe 6,6 milliards de dollars, soit à peu près la même chose en euros, en taxes diverses. Comme l'embargo sur le pétrole du pays, cette perte nette risque de peser lourd sur les investissement du pays dans son si précieux secteur énergétique, et mettre ainsi en grand péril ses revenus futurs.
Sur la question des importations, le rapport russe lu par Bloomberg explique qu'il est souvent impossible de trouver des alternatives aux produits victimes des sanctions, ce qui handicape la production domestique. Même le secteur agricole et agro-alimentaire souffre, au point de peut-être rapidement pousser les Russes à changer et à réduire leur consommation de nourriture.