Toutes les bonnes choses ont une fin. Pour l'Occident, englué dans une crise énergétique presque sans précédent, le chantage mené par Vladimir Poutine depuis l'invasion de l'Ukraine n'était certes pas une excellente nouvelle.
Pour la Russie, en revanche, le «tsunami de cash» généré par le gaz et le pétrole a été, durant les premiers mois de la guerre, une bénédiction. Alors que le pays était frappé de sanctions de plus en plus sévères, cette manne du gaz et du pétrole permettait de faire rentrer des milliards de dollars dans les caisses russes, un argent indispensable pour financer la coûteuse guerre menée chez le voisin.
Oui mais voilà: les analyses montrent que, de la même manière que les armées russes commencent à sentir le vent du boulet à la suite de la contre-offensive ukrainienne dans les régions de Kharkiv et, dans une moindre mesure, de Kherson, l'économie et le budget fédéral russes commencent également à tirer la langue.
Ces dernières heures nous ont apporté quelques données concrètes qui vont à l’encontre de la petite musique « les sanctions sont inefficaces, l’économie russe tient le coup » 1/6
— Anna Colin Lebedev (@colinlebedev) September 13, 2022
Ainsi que le rapporte Bloomberg et que l'explique, sur Twitter, la spécialiste Anna Colin Lebedev, les données mensuelles publiées par la Russie elle-même montrent que les revenus fiscaux provenant du secteur énergétique, comme l'excédent commercial du pays, ont déjà commencé à fondre comme neige au soleil.
De 481 milliards de roubles (7,2 milliards d'euros) cumulés de janvier à juillet 2022, l'excédent total serait tombé à 137 milliards en août (2,3 milliards d'euros), ce qui semble indiquer un déficit colossal pour le seul mois d'août, et le début de sérieux ennuis pour les finances russes.
Car la guerre, comme le soutien à coups de milliards d'une économie paralysée en grande partie par les sanctions occidentales, coûtent très, très cher au Kremlin. Et si les premiers mois ont permis au pays d'amasser un joli trésor de guerre, notamment grâce au cours du gaz et du pétrole que sa mainmise et ses tactiques lui ont permis de maintenir à un niveau élevé, la fête commence à tourner à l'aigre.
«Nous nous attendons à ce que dans un futur proche, probablement dès septembre, le pays passe d'un excédent à un déficit, le pays ayant besoin de croissance alors que la collecte des revenus sera plus limitée», explique ainsi à Bloomberg Natalia Lavrova, analyste pour le BCS Financial Group.
L'or noir, c'est noir
Tels que décrits par le Financial Times, la réalité présente et les proches horizons économiques russes ne sont pas plus roses. L'énergie est certes une arme, mais son tranchant est double: couper les approvisionnements en gaz à l'Europe –tout en faisant face aux sanctions de l'UE et du G7 sur le brut de l'Oural– représente un manque à gagner colossal pour Moscou, qui se creusera dans les mois qui viennent.
Comme l'a démontré l'analyste Oliver Alexander, le pays ne peut par exemple pas rediriger sa production gazière vers d'autres clientèles, la Chine ou l'Inde notamment, comme elle l'a fait en partie pour le pétrole. La raison est simple: elle n'en a tout simplement pas, dans l'immédiat, les moyens techniques.
Can Russia shift its European natural gas exports to China?
— Oliver Alexander (@OAlexanderDK) September 11, 2022
Short answer: No
Long answer: Nope
Deciding to stop natural gas exports to Europe will prove to be another massive own goal for Russia.https://t.co/Pxuz7mYWjs
Has Russia shot itself in the foot, again?
— Oliver Alexander (@OAlexanderDK) September 6, 2022
This will be a long thread covering the probable Russian closing of gas to Europe and limited ability of Russia to reroute this to China with their current gas infrastructure.
1/12 pic.twitter.com/GJUQj5Qk6S
Quant aux tankers pleins jusqu'à la gueule de pétrole qui, désormais, vont se vendre du côté de la Chine ou de l'Inde, il est nécessaire de rappeler qu'ils le font à un prix inférieur à celui d'un marché global par ailleurs tout aussi baissier que celui du gaz naturel. New Delhi, en particulier, bénéficie ces dernières semaines d'un coup de pouce tarifaire supplémentaire.
De plus, si ces deux nouveaux clients massifs ne prendront sans doute pas part au plafonnement souhaité des prix du brut russe, ce dernier leur donnera, comme l'estime le Financial Times, un levier supplémentaire pour continuer à négocier des tarifs préférentiels qui, au total, coûtent cher à Moscou.
À plus long terme, l'exode des grandes firmes pétrochimiques du territoire russe depuis la tentative d'annexion de la Russie est un désastre potentiel pour les capacités de production du pays, qui pourraient baisser, voire s'effondrer, faute de capitaux pour financer les projets futurs d'exploitation les plus importants.
Bref, les infinies richesses en matières premières et en énergie de la Russie ne sont finalement pas si infinies que cela et il est probable que l'on assiste à un sérieux changement de ton après les quelques mois qui viennent de s'écouler, passés à vanter une économie que les sanctions occidentales n'auraient fait qu'effleurer.