Publié sur la version anglophone de The Conversation, l'article cosigné par les économistes australiens Gary Mortimer, Frank Mathmann et Louise Grimmer débute par une délicieuse anecdote.
La légende raconte que, dans les années 1950, la firme agroalimentaire américaine General Mills a fait appel aux services du psychologue Ernest Dichter dans le but d'augmenter les ventes de ses mélanges pour gâteaux, vendus sous la marque Betty Crocker.
La solution trouvée par Dichter, expert en marketing et considéré comme le père de la psychologie de la motivation, fut de ne plus intégrer de poudre d'œuf dans le mélange, mais de demander à la place aux cuisiniers, qui à l'époque étaient majoritairement des cuisinières, de faire l'effort d'ajouter des œufs frais.
Client·e, au boulot!
Bingo: la (modeste) participation des client·es au produit final lui allouait une valeur plus grande, et renforçait le sentiment de compétence des amateurs et amatrices du tout-prêt. Les trois économistes notent que le succès de la marque Betty Crocker ne pouvait s'expliquer par cet unique facteur, et que d'autres entreprises avaient eu la même idée avant.
Mais cette recette n'en reste pas moins importante dans l'histoire du marketing, et a posé les fondations de ce que l'on nomme désormais «l'effet Ikea».
Ce biais cognitif, désormais bien connu, fut ainsi nommé par Michael Norton, Daniel Mochon et Dan Ariely dans un article paru en 2011 dans le Journal of Consumer Psychology. Selon eux, instiller un peu d'effort dans un objet est un ingrédient primordial pour le succès commercial. Monter soi-même son étagère Trofast ou sa commode Askvoll, avec quelque énervement mais pour un coût imbattable, permet aux possesseurs desdits meubles d'en tomber amoureux, et par extension de s'attacher à la marque.
Les trois chercheurs ont confirmé leur thèse en faisant faire de l'origami à quelques sujets, puis en les mettant aux enchères. Les cobayes donnaient une valeur monétaire plus importante au fruit de leurs efforts qu'aux grenouilles parfaites pliées par des experts en la matière. Une limite cependant: la tâche incombant à la clientèle ne doit, bien sûr, pas être d'une difficulté démotivante.
Le Graal des marques
Ikea n'est bien sûr pas le seul à profiter de l'effet qui porte son nom. Grâce à la personnalisation des produits de série, de nombreuses marques, dans les secteurs de l'automobile ou des chaussures de sport notamment, permettent à leur clientèle de participer, même symboliquement, à la création de l'objet qu'elle s'apprête à acheter.
Les grandes enseignes de bricolage multiplient les ateliers et cours pour apprendre à faire soi-même les choses, donc s'y fournir en matériaux puis s'atteler seul·e à la tâche chez soi, avec fierté et attachement.
L'histoire de General Mills et des œufs à ajouter a également fait florès dans l'industrie agroalimentaire, où nombre de plats préparés nécessitent l'ajout final d'un ingrédient par les cuisiniers ou les cheffes domestiques.
Équivalents gastronomiques d'Ikea, de nombreuses start-ups proposent désormais la livraison de box d'ingrédients frais, à mélanger selon une recette fournie pour un plat qui deviendra véritablement nôtre une fois terminé.