C'est peut-être historique. Lui offrant une première victoire dans une lutte de longue haleine aux enjeux majeurs, un vote très attendu a permis au fonds d'investissement activiste Engine No. 1 de placer au moins deux de ses membres au board d'Exxon Mobil, géant américain du pétrole, et d'asséner à son actuel patron, Darren Woods, un uppercut dont il pourrait avoir du mal à se relever.
Bien qu'il ne dispose que d'une part très minoritaire dans le capital de la firme, Engine No. 1 est devenu ces derniers mois le fer de lance des actionnaires d'Exxon exprimant leurs doutes, de plus en plus marqués, sur la (non) politique environnementale menée par Woods.
Le programme déroulé par le fonds activiste exprimait ainsi la nécessité impérieuse d'engager Exxon Mobil sur une voie déjà empruntée par certains de ses concurrents: viser la neutralité carbone, de ses produits comme de ses opérations, d'ici 2050.
Une transition vers moins de carbone et des investissements dans les énergies propres pour lesquels Exxon est plus qu'en retard, alors qu'elle peine en parallèle, depuis des années déjà, à satisfaire ses actionnaires avec les fruits qu'elle tire du pétrole.
«C'est le pire des deux mondes», explique ainsi au Wall Street Journal Peter Bryant, analyste pour la firme Clareo, à propos du géant aux pieds désormais d'argile.
Darren Woods avait, ces derniers mois, tenté quelques ajustements pour satisfaire les exigeances d'Engine No. 1 et des actionnaires mécontents, petits ou institutionnels, que le fonds avait réussi à fédérer dans sa lutte.
Ce fut insuffisant et le patron d'Exxon pourrait ne plus le rester très longtemps, faisant place nette à un rempaçant ou une remplaçante pour extraire l'entreprise de l'ornière industrielle et climatique dans laquelle elle se trouve.
Le capital et la justice
Ce vote coup de tonnerre des actionnaires d'Exxon est d'autant plus historique qu'il est survenu le jour même où, de l'autre côté de l'Atlantique, un tribunal néerlandais rendait une décision majeure, et qui –c'est le cas de le dire– pourrait faire tâche d'huile au niveau international.
Selon ce jugement, dont l'entreprise peut encore faire appel, la Royal Dutch Shell est partiellement responsable du changement climatique. Mais plutôt que de chercher à obtenir des dommages et intérêts, la branche hollandaise de Friends of the Earth, qui a initié la procédure, a souhaité que la justice ordonne à cet autre membre majeur de «Big Oil» de s'engager dans une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre.
Quand les patrons échouent à prendre les décisions nécessaires, tant pour leurs firmes que pour le bien commun, les actionnaires ou la justice peuvent s'imposer. Ce que le tribunal, situé à la Haye, n'a pas hésité à faire, de manière retentissante. Selon sa décision, Shell doit ainsi réduire ses émissions nettes, ainsi que celles de ses fournisseurs et clients, de 45% d'ici 2030.
Pour les pétroliers, les temps changent, ils changent à une vitesse assez folle. Ceux qui peinent encore à s'adapter à l'urgence –tant pour eux-mêmes que pour l'ensemble de l'humanité– devront sans doute fortement accélérer leur transformation: s'ils ne le font pas, d'autres s'en chargeront pour eux.