Il y a quelques jours, des dockers du terminal de l'Isle of Grain, dans le Kent au Royaume-Uni, refusaient, en solidarité avec le peuple ukrainien, de décharger le gaz naturel liquéfié de deux tankers russes, le Boris Vilkitsky et le Fedor Litke, qui ont dû rebrousser chemin.
Alors que les pays occidentaux réfléchissent à se couper des énergies russes, en réaction à l'invasion de l'Ukraine, les États-Unis pouvant décider d'un embargo pur et simple sans leurs alliés européens, la très dépendante Allemagne rechignant à un tel sacrifice, ce type de situation pourrait se multiplier.
Selon les traders et analystes interrogés par le Financial Times, il y a ainsi actuellement des dizaines de tankers russes faisant des ronds dans l'eau des sept mers, incertains de la destination finale de leurs pourtant précieuses cargaisons.
Le FT prend l'exemple de la Sovcomflot, plus gros transporteur maritime énergétique russe. Sur une flotte de 172 pétroliers de type «Aframax», dont le tonnage est compris entre 80 et 120.000 tonnes, la firme Windward explique que 77 navires sont actuellement en chemin.
Vers où? Telle est la question, illustrée par le NS Champion: devant initialement débarquer à Orkney, en Écosse, le navire a finalement dû changer ses plans du fait de l'embargo portuaire décidé par le Royaume-Uni et, aux dernières nouvelles, se dirige vers le Danemark. Mais le Danemark l'accueillera-t-il? Rien n'est moins sûr: l'Union européenne planche sur des mesures similaires à celles prises par Londres.
Au rabais
«L'Ouest ne s'est pas encore attaqué aux flux énergétiques, explique Arthur Richier de la firme Vortexa au Financial Times. Mais quand il cible les banques, il compromet les financements, et nous avons constaté que cela impactait Sovcomflot. C'est toute l'infrastructure qui est remise en cause.»
D'autres analystes notent que nous n'assistons qu'aux premiers signes de ces chamboulements, la plupart des bateaux actuellement en route correspondant à des commandes passées il y a plusieurs semaines ou mois. Les blocages et disruptions pourraient donc, dans les prochaines semaines, se multiplier pour ces navires généralement armés par des producteurs comme Gazprom ou Lukoil ou des traders comme Trafigura ou Vitol.
Au-delà de la question des sanctions étatiques officielles, il y a l'attitude des compagnies occidentales, qui se détournent de plus en plus de la production russe, en réaction à la guerre en Ukraine. Le gaz et le pétrole de Moscou peinent tout simplement à trouver preneur, et ce malgré de très gros rabais consentis par leurs vendeurs.
Certaines compagnies semblent néanmoins avoir des scrupules bien plus légers, sinon tout à fait inexistants. C'est notamment le cas de Shell, qui a dû s'expliquer sur sa décision d'acheter 725.000 barils de Brent russe à un prix défiant toute concurrence, 28,5 dollars le baril quand celui-ci avoisine déjà 140 dollars, alors que nombre de ses rivales décidaient de ne pas céder à l'attrait de ces discounts au goût amer.