Une goutte dans l'océan. C'est l'effet sur les marchés qu'a eu l'annonce fin novembre de l'utilisation d'une (infime) partie de leur stock stratégique de pétrole par certaines grandes nations comme les États-Unis ou la Chine, dans l'espoir un peu pieux de faire baisser la pression sur les prix.
Prince héritier d'Arabie saoudite et leader de fait du pays, Mohammed ben Salmane (MBS) peut rire sous cape. Alors qu'il semble s'entendre avec la Russie pour remuer le couteau inflationniste dans la plaie des gouvernements occidentaux en refusant d'ouvrir grand les vannes pétrolières, une posture vertement critiquée par l'Agence internationale de l'énergie, le pays dont il a la charge –ainsi que lui-même– sortent très largement renforcés et enrichis par la crise internationale.
La tornade provoquée par la chute des prix du pétrole au début de la pandémie est bel et bien passée, et ses effets largement contrebalancés par les actuels niveaux élevés du baril, remplissant les caisses du pays comme de son opérateur national Aramco, dont les profits ont grimpé de 160% lors du dernier trimestre à vitesse très grand V.
Comme l'explique Bloomberg, le fonds souverain saoudien, géré par MBS, pourrait ainsi être riche de 1.000 milliards de dollars dès 2025, bien plus tôt que prévu. La production pétrolière du pays devrait, en 2022, atteindre son plus haut niveau historique: si les prix restent similaires à ce qu'ils sont aujourd'hui, cela pourrait selon les estimations du média américain faire gagner 200 milliards de dollars au royaume, sur cette année seulement.
Renversant
Pourtant, MBS et l'Arabie saoudite reviennent de loin. Le boom de l'exploitation américaine de l'huile de schiste a bouleversé à la fin des années 2010 les équilibres mondiaux, faisant du pays un surprenant plus grand producteur mondial, provoquant une chute des prix du baril et mettant les finances saoudiennes dans une position pour le moins délicate. En faisant chuter la demande de pétrole, la pandémie de Covid-19 a alimenté cette tendance baissière et amplifié les difficultés du royaume.
Les choses se sont vite et radicalement renversées. La manne actuelle permet à l'Arabie saoudite d'épurer les dettes occasionnées lors de cette contraction du marché, et d'accélérer le grand plan d'investissement et de transition imaginé par MBS, nommé «Vision 2030» et que d'aucuns considèrent comme une folie économique. Présentée début 2021, Neom, sa nouvelle ville géante et verte bâtie en plein désert, en est l'un des fers de lance: un caprice mégalomane sans avenir, contestent les contempteurs du prince héritier.
Et des contempteurs, c'est peu dire que Mohammed ben Salmane en compte. Son rôle dans la sanglante guerre du Yémen, ses troubles jeux d'influence et bras de fer géopolitiques avec le Qatar ou l'ennemi juré iranien et, surtout, l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, dont il serait le commanditaire selon Washington, ont mis MBS dans une position délicate.
Cette richesse et cette puissance retrouvées sont pour lui une bénédiction. L'Arabie saoudite est à nouveau au centre du monde énergétique. MBS, auquel Joe Biden n'a pas encore accepté de parler, préférant une conversation avec son père le roi Salmane, retrouve des leviers puissants pour faire pression sur les États-Unis et le monde occidental en général.
Le monde cherche peut-être à abandonner les énergies fossiles mais, en attendant la transition, l'or noir reste donc l'un des instruments ultimes du pouvoir géopolitique.