Les tensions entre la Russie et l'Occident autour d'une menace d'invasion de l'Ukraine ne cessent de s'envenimer. Le Pentagone prévient par exemple que Moscou continue à masser des troupes à la frontière avec l'ex-république soviétique, ce à quoi devraient répondre les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne, notamment en renforçant leur propre présence dans la zone.
Mais tanks, missiles ou soldats ne sont pas les seules armes possibles de ce conflit. L'énergie pourrait en être une autre –elle l'est même déjà depuis quelques mois.
Moscou est ainsi accusée de jouer un jeu géostratégique trouble autour de sa fourniture de gaz à l'Europe, dont cette dernière dépend très largement. Généralement plutôt neutre, l'Agence internationale de l'énergie a même rappelé Vladimir Poutine à l'ordre sur la question.
Peut-on alors imaginer que, en cas de conflit ouvert ou pour faire plier l'Occident dans les négociations autour de l'Ukraine, et alors que le continent traverse une crise énergétique sans précédent et que ses stocks sont déjà dangereusement bas, la Russie décide de totalement couper sa fourniture de gaz et de pétrole à l'Europe?
C'est certes le scénario le moins probable de tous. Car si l'Europe est très dépendante de la Russie, la Russie est également très dépendante de l'Europe: l'énergie représente pour Moscou une manne financière importante –il est question de 15% du PIB– dont la coupure soudaine risquerait de faire s'effondrer l'économie du pays et les finances de l'État.
Diversions
Ce qui n'empêche pas l'Europe et ses alliés de ruer dans les brancards pour préparer, en urgence, des plans B d'approvisionnement au cas où Poutine déciderait de fermer les robinets. Les États-Unis se sont ainsi lancés ces dernières semaines dans d'intenses négociations, avec le Qatar entre autres, pour augmenter les fournitures de gaz à l'Europe en cas d'invasion de l'Ukraine.
Eux-mêmes grands producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL) notamment grâce à la fracturation hydraulique, les États-Unis cherchent à augmenter en urgence les flux vers l'Europe.
Mais dans un continent ayant depuis longtemps choisi la Russie, ses pipelines et ses tarifs bas, les terminaux maritimes nécessaires à la réception des énormes navires spécialisés dans le transport de GNL manquent, et des embouteillages se sont déjà créés là où ils peuvent se défaire de leur cargaison.
Il serait également possible, explique un expert d'Eurasia Group à CNBC, de demander à l'Algérie, la Norvège ou l'Azerbaïdjan d'augmenter la capacité de leurs pipelines pour compenser –en partie– une éventuelle baisse de livraison de la part de la Russie.
«Le scénario le plus probable est que les flux continuent», rassure quant à lui Tom Marzec-Manser, analyste pour ICIS. Il note que les contrats de Gazprom avec l'Allemagne, l'Italie ou la France courent sur de très longues durées, et ne sont –en théorie– pas liés aux relations entre États.
Mais l'Ukraine étant située sur la route d'une partie de l'énergie fournie par la Russie à l'Europe, une invasion ne serait pas sans conséquence pour la fourniture énergétique de cette dernière, et ce sans même compter d'éventuelles sanctions à l'encontre de Moscou.
Un reroutage via d'autres marchés et pipelines, la Pologne par exemple, serait imaginable. Mais tout ceci se ferait au prix d'une nouvelle explosion des tarifs de l'énergie en Europe: l'hiver sera encore long et, déjà envisagée avant la crise ukrainienne, la possibilité de black-out ne peut être totalement écartée.