En août 2018, un petit trou est apparu dans la carlingue du vaisseau Soyouz arrimé à la Station spatiale internationale (ISS). Rapidement découvert et colmaté, il n'a pas mis en danger la sécurité de l'équipage. Mais son origine a vite semé le trouble. Impact de micrométéorite? Acte de sabotage?
La commission d'enquête finira par révéler que le trou a été fait au moyen d'une perceuse –de la main de l'homme, donc. S'agit-il pour autant d'un geste volontaire? Deux hypothèses s'opposent: d'un côté celle d'un·e technicien·ne ayant par mégarde percé le trou sur Terre avant d'essayer de le camoufler; de l'autre celle d'un·e astronaute qui souhaitait écourter son voyage spatial, pariant que la découverte du trou conduirait à un retour anticipé. Cette seconde piste est d'ores et déjà privilégiée par les médias russes, qui n'ont pas manqué d'ironiser sur «la perceuse de l'ennemi».
Le poinçonneur de la NASA
L'affaire du petit trou révèlerait-elle un regain de tension entre la Russie et les États-Unis? Si Roscosmos (l'agence spatiale russe assurant le transport des astronautes vers l'ISS) et la NASA coopèrent depuis vingt ans, l'Amérique cherche dorénavant à garantir son indépendance et à réaffirmer son leadership dans un domaine spatial en plein bouleversement.
Depuis quelques années, de nouveaux acteurs ont émergé. Parmi eux, le Japon et l'Inde, mais surtout la Chine, qui a réalisé en janvier 2019 le premier alunissage sur la face cachée de la Lune.
Le contrat liant la NASA à Roscosmos expire en ce mois d'avril 2019. L'agence américaine espère pouvoir ensuite confier le transport de ses astronautes aux cargos Dragon, développés par SpaceX.
Un premier arrimage à la Station spatiale internationale a été réussi en mars dernier, mais la capsule a ensuite subi une explosion lors de nouveaux tests au sol, le 23 avril.
L'entreprise d'Elon Musk est l'un des visages emblématiques du New Space, qui réunit les sociétés privées de millionnaires lancés à la conquête de l'espace.
La course au tourisme spatial
Indépendamment de leurs partenariats, ces entreprises soutiennent un autre grand projet: le tourisme spatial. S'il arrive de temps à autre qu'un milliardaire sorte son carnet de chèques pour vivre le grand frisson, les vols commerciaux devraient finir par être plus accessibles.
Le pionnier en la matière est sans conteste Richard Branson. Après la chaîne des Virgin Megastores, les sodas Virgins, la Formule 1 et une entrée au Guinness Book pour sa traversée de l'Atlantique en ballon, ce serial entrepreneur britannique s'est engagé dans la course à l'espace avec sa compagnie Virgin Galactic.
Malgré un accident mortel lors d'un vol d'essai en 2014, Branson compte envoyer en orbite ses premièr·es passagèr·es à bord de son vaisseau SpaceShip d'ici la fin de l'année 2019. Tous les vols seraient déjà complets jusqu'en 2021.
Le tourisme spatial intéresse également l'homme le plus riche du monde, Jeff Bezos. Chaque année, le patron d'Amazon consacre un milliard de dollars [892 millions d'euros] à son entreprise Blue Origin –une peccadille, lorsque l'on sait que sa fortune est 158 fois plus élevée.
Son vaisseau, le New Shepard, devrait atteindre 100 kilomètres d'altitude et ainsi dépasser la ligne de Kármán, qui sépare l'atmosphère de l'espace.
Si Elon Musk semble moins séduit par l'aventure, il espère tout de même envoyer le premier touriste autour de la Lune dès 2023. Le milliardaire japonais Yusaku Maezawa aurait déjà déboursé pas loin de 25.000 dollars pour s'offrir le voyage.
Si le tourisme spatial devrait générer d'importantes sources de revenus, Jeff Bezos, qui n'est de toute façon plus à quelques milliards près, est moins terre-à-terre. Il en est convaincu: le développement des vols commerciaux pourrait nous faire oublier notre «chauvinisme planétaire», une expression qu'il emprunte au célèbre écrivain de science-fiction Isaac Asimov.
En 2018, face au journaliste Steven Levy, le patron de Blue Origin se demandait «si la vie de nos arrière-arrière-petits-enfants ne serait pas plus palpitante s'il y avait un billion d'êtres humains dans le système solaire». On ne voit pas trop comment dire non... Pas sûr pour autant que l'argument d'une vie plus fun suffise à dissiper les doutes en ce qui concerne la faisabilité technologique –et financière– d'un tel projet.
Usines lunaires et colonies martiennes
Avant d'offrir un avenir multi-planétaire à notre descendance, l'espace pourrait d'abord nous permettre de préserver nos ressources terrestres. C'est du moins l'idée défendue par les futurs mineurs d'astéroïdes.
En novembre 2018, nous interrogions Mitch Hunter Scullion, à la tête de l'Asteroid Mining Corporation (AMC), l'une des trois grandes entreprises du secteur.
Selon lui, récupérer les minerais présents dans les astéroïdes –notamment du platine et du cuivre– s'inscrirait dans une démarche écologique «permettant d'éviter une surexploitation des ressources terrestres, ainsi que l'exploitation éventuelle de l'Antarctique».
La Lune semble elle aussi regorger de minerais. Jeff Bezos espère d'ailleurs y construire une base afin d'y exporter le gros de l'industrie humaine.
C'est toutefois un autre objet céleste qui a les faveurs d'Elon Musk: Mars. Bien décidé à voir l'humanité quitter son berceau terrestre, le patron de SpaceX rêve d'installer une colonie sur la planète rouge.
Pour réaliser son objectif, il pourra compter sur son vaisseau Starship, qui devrait à terme remplacer tous les véhicules de l'entreprise (Falcon 9, Falcon Heavy et Dragon). La première mission devrait se poser sur Mars d'ici trois ans, en attendant l'installation d'une colonie dès 2024.
Le lièvre et la tortue
Bezos et Musk sont souvent présentés comme des adversaires. Tous deux sur la réutilisabilité de leurs appareils, mais ont des approches très différentes, notamment en matière d'ingénierie.
Les fusées de Blue Origin sont conçues pour amener des touristes dans l'espace suborbital et sont donc plus grosses que celles de SpaceX, destinées à placer des charges utiles (comme des satellites) en orbite basse.
Ces gens ne monteront sans doute jamais à bord de l'une des fusées lancées par SpaceX, ce qui ne les empêche pas d'avoir la tête dans les étoiles. | Gregg Newton / AFP
Celles-ci sont par conséquent plus longues et plus fines, pour permettre une meilleure sortie de l'atmosphère. Mais leur forme délicate rend aussi leur retour sur Terre plus compliqué, ce que n'a pas manqué de rappeler Elon Musk lorsque son rival s'est vanté sur Twitter d'avoir réussi en premier l'exploit d'y ramener une fusée en état de marche.
@JeffBezos Not quite "rarest". SpaceX Grasshopper rocket did 6 suborbital flights 3 years ago & is still around. pic.twitter.com/6j9ERKCNZl
— Elon Musk (@elonmusk) 24 novembre 2015
Au jeu des sept différences, l'avantage semble pour l'instant aller à SpaceX, aussi bien en matière de popularité que de prouesses techniques. À ce jour, l'entreprise a réalisé pas moins de soixante-dix lancements de sa Falcon 9, dont vingt-et-un rien qu'en 2018.
Mais il en faudrait plus pour effrayer Jeff Bezos, qui a fait de la tortue son emblème. Présente sur les capsules, elle figure également sur le blason de l'entreprise, accompagné de la devise «Gradatim Ferociter» (comprenez: «Lentement, mais avec audace»).
Autre symbole fort, Jeff Bezos finance la Clock of the Long Now, une horloge enfouie dans les montagnes du Nevada et censée fonctionner pendant 10.000 ans.
Une constellation de satellites
En attendant l'apparition de colonies martiennes et de leurs hôtels quatre étoiles, les acteurs du New Space travaillent sur du plus court terme. Alors que l'on estime à quatre milliards le nombre de personnes n'ayant toujours pas accès à internet, les projets de connexion par satellites se multiplient.
Avec Starlink, SpaceX prévoit le lancement de 12.000 engins, espérant faire oublier son échec retentissant de 2016, lorsque la Falcon 9 transportant le satellite de Facebook a explosé au décollage –un fiasco à 200 millions de dollars. Quant au géant du web, il a annoncé son retour dans la course et prévoit le lancement de son satellite Athena dans le courant de l'année 2019.
Pour l'heure, le projet le plus abouti reste néanmoins celui de OneWeb, qui a obtenu le soutien de Richard Branson et devrait bientôt mettre en orbite une flotte de 600 engins.