La Z-LAN. Drôle de terme. Kezako? Ni un nom de super-héros, ni le dernier film de série Z sorti au cinéma, la Z-LAN est une compétition e-sportive qui se déroulera pour la première fois les 11 et 12 mai à Arles. Le concept? Des gamers et des influenceur·euses s'affronteront sur dix jeux vidéo différents –de Starcraft II à Minecraft– le temps d'un week-end: compétition garantie, divertissement aussi.
Derrière le projet se cache le très prolifique Adrien «ZeratoR» Nougaret, ponte du milieu connu pour ses streams et les événements qu'il organise autour de l'e-sport. Mais, à bien y réfléchir, peut-on réellement considérer la Z-LAN comme de l'e-sport?
Une nouvelle notion, popularisée par le chercheur Nicolas Besombes, a récemment fait son apparition: l'e-sportainment. Néologisme 100% français, le terme cherche à définir ce que seraient les événements comme la Z-LAN. Le docteur en e-sport le qualifie ainsi: «L'e-sportainment, c'est avant tout des compétitions qui fonctionnent sur le format d'invitation, sans qualification. Elles réunissent des joueurs compétitifs mais aussi des créateurs de contenu.»
La Z-LAN rentre parfaitement dans les clous avec ses 200 participant·es dont 80 créateurs ou créatrices de contenu. D'autres événements, comme les shows organisés pour le Barrière Esport Tour avec des stars du streaming telles que Gotaga ou Domingo, correspondent également bien à cette définition.
Une origine confuse
Subtil mélange de compétition et de divertissement, l'e-sportainment se développe rapidement. La notion a pourtant une origine confuse. «J'ai commencé à en entendre parler chez des proches de Webedia [entreprise de médias en ligne qui possède notamment Jeuxvideo.com et Millenium, ndlr]», retrace Nicolas Besombes.
Mais c'est surtout le succès incontestable de Fortnite –et le chamboulement qu'il a provoqué– qui a mis en lumière ce nouveau phénomène. Pour ses débuts, son éditeur Epic Games a préféré organiser des tournois sur invitation pour de très gros·ses influenceur·euses, plutôt que pour des gamers pros. «Fortnite a fait exploser le côté divertissement», analyse Eva Martinello, journaliste du site spécialisé Millenium. «Il y a du niveau de jeu, c'est certain. Par exemple, Gotaga est un retraité de l'e-sport traditionnel, mais il fait aussi du spectacle.»
Cette nouvelle orientation de la compétition ne tombe pas du ciel: Epic Games a d'abord favorisé les influenceur·euses dans une perspective purement financière. Le jeu en free-to-play (gratuit), qualifié de «game as a service», parie sur des mises à jour très régulières pour attirer des joueur·euses et gagner de l'argent en leur vendant des accessoires cosmétiques. Plus facile pour une star des réseaux sociaux de valoriser ces mises à jour incessantes qu'un·e gamer professionnel·le, qui doit s'entraîner sur une version du jeu un minimum stable.
Un autre facteur a favorisé l'essor de l'e-sportainment: le streaming. L'effervescence de Twitch, la plateforme dédiée au jeu vidéo, l'explique en grande partie selon Nicolas Besombes. «Il y a une appropriation des jeux vidéo par les créateurs de contenu. C'est consubstantiel au streaming car on peut apporter quelque chose de supplémentaire avec une chaîne.» Créer sa communauté, la faire grandir et la fidéliser… ces qualités ont maintenant leur place dans le secteur.
Et ce n'est pas le recrutement de gamers pros sur le jeu Apex Legends pour la très populaire structure G2 qui prouvera le contraire. Dans le formulaire pour postuler, l'équipe explique qu'elle recherche des candidat·es «pour devenir des streamers et des créateurs de contenu officiels sur Apex Legends pour G2, et aussi, potentiellement, des joueurs professionnels»: c'est un fait, les priorités changent et la potentielle notoriété semble prendre le pas sur les performances esportives.
Le spectacle avant tout?
La notion d'e-sportainment, très récente, ne laisse pas de marbre les acteurs du secteur e-sportif, qu'ils la considèrent comme positive ou négative. Elle distingue, de fait, deux manières de faire de la compétition de jeux vidéo.
D'un côté, une version dite dure, ou classique, avec des joueur·euses professionnel·les, des ligues et des tournois, le tout chapeauté par l'éditeur du jeu en question. De l'autre une version nouvelle, moins sérieuse selon certain·es, qui laisse sa place aux influenceur·euses, qui s'ouvre à plus de divertissement et s'adresse donc à un plus large public.
Côté e-sport la performance fait le divertissement, il y a tout un storytelling derrière pour savoir comment l'équipe est arrivée jusque-là.
Une distinction que regrette Sébastien «Drijoka» Chenaf, ancien manager des équipes League of Legends et World of Warcraft de la structure aAa. «Cela distingue soi-disant le faux e-sport du vrai. C'est un peu une relation de je t'aime moi non plus, ça fait des vues, donc on dit que ça n'est pas de l'e-sport. Mais pour moi l'e-sport est avant tout un show.»
Ici réside toute la subtilité de la distinction. Le show fait effectivement par essence partie de l'e-sport comme de l'e-sportainment, mais c'est par les moyens utilisés pour créer du spectacle que les deux domaines se démarquent. «Côté e-sport la performance fait le divertissement, il y a tout un storytelling derrière pour savoir comment l'équipe est arrivée jusque-là», ajoute la journaliste Eva Martinello. Côté e-sportainment, les défis, l'animation, les blagues créent le spectacle.
C'est le cas par exemple de la TrackMania Cup, événement compétitif organisé lui aussi par ZeratoR sur le jeu de course TrackMania. Il y a bien une course automobile sur une carte, mais elle est jalonnée de défis particuliers: les participant·es doivent jouer les yeux fermés ou réaliser le parcours en marche arrière.
Ancien monde vs nouveau monde?
Ce schisme donne l'impression qu'un ancien monde et un nouveau monde s'affrontent pour définir la discipline. «L'e-sport qui ne m'intéresse pas, c'est de voir les joueurs qui font une photo les bras croisés devant un fond noir, je trouve ça ringard», avance Sébastien «Drijoka» Chenaf, aujourd'hui gérant de l'agence de communication Wat Social Club.
La professionnalisation du secteur –l'argent a pris une place non négligeable dans le milieu– a en partie provoqué cette inertie, comme le concède Eva Martinello: «Plus il y a d'argent et plus il est difficile de sortir du cadre, en quelque sorte.» Ce qui explique que les professionnel·les de League of Legends, par exemple, ne rayonnent pas de fun et de bonhomie lors de compétitions à gros enjeux, à l'inverse d'influenceur·euses cherchant à fidéliser leur communauté, ou de jeunes gamers sur Fortnite, adeptes des réseaux sociaux et de la communication à tout-va.
L'organisateur de la TrackMania Cup et de la Z-LAN, Adrien «ZeratoR» Nougaret, va encore plus loin dans la critique de l'e-sport actuel. «Ça se prend trop au sérieux, et c'est tout simplement devenu une publicité pour les éditeurs de jeu, qui organisent les compétitions et récupèrent l'argent ensuite.»
Se qualifiant lui-même de «vieux con», il se dit nostalgique d'une époque révolue, où les gamers organisaient des LAN dans des garages et où la professionnalisation, et surtout l'argent, n'avaient pas pris autant d'ampleur.
D'où son intérêt pour les créateurs et créatrices de contenu et les influenceur·euses, qui ne courent pas derrière les récompenses dans les compétitions. «Il y a toujours de bons joueurs de jeux vidéo, des passionnés, peu importe le cashprize», affirme l'animateur de 29 ans.
Un nouveau public et une nouvelle offre
Passées les guerres internes, et il y en aura toujours d'après le chercheur Nicolas Besombes qui parle d'un «processus de distinction sans cesse présent», l'e-sportainment représente-t-il réellement un danger pour l'e-sport classique?
Le divertissement influence les scènes traditionnelles comme celle de League of Legends qui compte lui laisser plus de place, selon ce qu'a annoncé Alban Dechelotte, directeur du sponsoring et du développement chez Riot Games, dans une interview à L'Équipe.
Si je devais introduire ma famille au secteur, je l'emmènerais sûrement à un tournoi d'e-sportainment.
Cela ne signifie pas pour autant la fin de l'e-sport tel qu'on le connaît aujourd'hui, mais plutôt une étape pour aller chercher un nouveau public. «C'est une offre supplémentaire pour que ça plaise à tout le monde», avance Sébastien «Drijoka» Chenaf. «Puis ce ne sont simplement pas les mêmes gens qui regardent les deux.»
Cela offre aussi de nouvelles opportunités à une scène en déclin, comme le fut celle de TrackMania avant la TrackMania Cup organisée par ZeratoR: depuis la création de l'événement, des structures ont investi dans des joueur·euses et la scène s'est reprofessionnalisée.
Pour une discipline qui a longtemps été mal perçue et considérée de niche (même si les statistiques ont toujours prouvé le contraire), entrer dans l'air du temps pour toucher un plus grand public ne peut se faire sans encombre.
Reste qu'ouverture ne veut pas forcément dire abaissement du niveau. Et même Eva Martinello, journaliste spécialisée et adepte d'e-sport classique, le reconnaît: «Si je devais introduire ma famille au secteur, je l'emmènerais sûrement à un tournoi d'e-sportainment.»