Basé sur les témoignages de dizaines de témoins, un article édifiant du New York Times révèle à quel point la grâce présidentielle américaine, traditionnellement utilisée en fin de mandat pour pardonner des condamnés méritants, est devenue l'objet d'un marché millionnaire pour de multiples proches de Donald Trump.
Le quotidien américain donne quelques exemples très concrets. Celui de John Kiriakou, un ex-agent de la CIA condamné en 2013 pour avoir divulgué des informations sur l'usage de la torture par les États-Unis contre des terroristes présumés.
Un homme qui fut un conseiller proche du bientôt ex-président américain aurait ainsi demandé 50.000 dollars pour offrir à Kiriakou un accès à Donald Trump, le contrat stipulant que 50.000 dollars supplémentaires seraient versés en cas de grâce.
Pire: selon le New York Times, John Kiriakou aurait reçu une offre similaire de la part de Rudy Giuliani, qui lui proposait la négociation d'une grâce pour la modique somme de 2 millions de dollars. L'ex-CIA a décliné, et l'un de ses partenaires a préféré alerter le FBI sur cet inquiétant trafic de pardons.
Brett Tolman, ex-procureur des États-Unis qui conseille la Maison-Blanche sur ces questions, aurait amassé «des dizaines de milliers de dollars, possiblement plus» en offrant ses services au fils d'un ancien sénateur de l'Arkansas, au «fondateur du supermarché en ligne des drogues The Silk Road» –vraisemblablement Ross Ulbricht– ou encore à un New-Yorkais condamné dans une affaire de fraude.
Même chose pour un ex-avocat de Donald Trump, John M. Dowd, qui a selon le quotidien gagné des dizaines de milliers de dollars en se présentant comme un recours et un intermédiaire sûr auprès d'un «riche criminel».
Le monopole du cœur
Désormais «empêché», Donald Trump a été privé d'une grande partie de ses pouvoirs présidentiels. Celui de la grâce est en revanche encore entre ses mains: il détient donc un monopole de fait sur une chose précieuse pour quiconque ayant été condamné par la justice et cherchant à blanchir son nom.
Son entregent, l'armée de lobbyistes et de juristes qui l'entourent, et qui ont vite compris quel intérêt pécuniaire ils pouvaient tirer d'une telle autorité, ont donc mené à la création de ce marché gris, légalement discutable, moralement contestable mais financièrement très profitable.
«Ce genre de trafic d'influence, de système de privilèges prive d'attention des centaines de personnes ordinaires, qui ont docilement suivi les règles du département de la Justice, et c'est une violation des efforts menés de longue date pour faire de ce processus quelque chose qui ait au moins l'apparence de la justice», s'insurge auprès du NYT Margaret Love, qui s'est occupée de ces questions de 1990 à 1997 en tant que Pardon Attorney.
Le New York Times note que Donald Trump n'est pas le seul à avoir été placé au centre d'un tel système. Bill Clinton, à la fin de son mandat, avait ainsi essuyé les critiques pour avoir signé 170 grâces présidentielles, une partie d'entre elles pour des individus ayant chèrement payé leur accès au président auprès de proches et alliés.
Le quotidien remarque cependant que ces personnes, à l'inverse de celles cherchant à acheter le pardon de Donald Trump, étaient passées par le processus habituellement requis par le département de la Justice.
Le NYT explique enfin que ce lobbying n'est pas en soi illégal, mais que des offres directes au président pourraient être considérées comme de la corruption pure et simple par la justice. La frontière entre les deux semble mince, et la situation financière désastreuse du président sortant pourrait justifier quelques problématiques tours de passe-passe.