Nous devrions davantage nous méfier du danger que représente ce petit objet connecté, constamment fourré au fond de notre poche ou collé contre notre oreille, qui nous permet à la fois de téléphoner et de consulter nos mails (entre autres) et dont nous ne saurions, de nos jours, décemment nous passer.
Le smartphone a pris dans nos existences une importance considérable. En 2017, il s'en est fabriqué et vendu 50 toutes les secondes dans le monde, c'est-à-dire 1,5 milliards en tout. C'est un objet incontournable du quotidien, consommé partout sur la planète par toutes les couches de la société.
Mais ces appareils, que nous utilisons sans trop nous poser de questions, notamment sans chercher à savoir comment ils sont fabriqués, ont un côté obscur, caché derrière la surface lisse de leurs écrans. A tel point qu'ils représentent un danger pour les générations futures mais aussi, tout de suite et maintenant, pour les générations présentes. Ces petits bijoux de technologie sont de redoutables destructeurs d'écosystèmes, ainsi que de grands pourvoyeurs d'inégalités sociales dans les pays où ils sont fabriqués. C'est à dire loin de chez nous.
Pollution massive
Une étude de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) datant de 2018, très complète sur la question, précise que «tout au long de son cycle de vie –de l’extraction des matières premières, en passant par sa fabrication, son transport, son utilisation et sa fin de vie– un smartphone a des impacts sur l’environnement, auxquels s’ajoutent des impacts sociaux et sanitaires».
L'épuisement des ressources, les atteintes à la biodiversité dues aux rejets toxiques dans l'environnement et aux émissions de gaz à effet de serre, tout comme l'exploitation, dans des conditions effroyables, sept jours sur sept, de dizaines de milliers de travailleurs dans des usines insalubres ou des mines à ciel ouvert sont le prix à payer pour que nous puissions pianoter en toute insouciance sur nos Apple, nos Samsung ou nos Wiko.
Dans chaque smartphone, il y a entre 20 et 30 minéraux différents. Un téléphone comprend plus de 100 composants, assemblés partout dans le monde par des gens sous-payés. Mais tout ceci est caché à nos yeux.
L'Ademe précise encore, histoire d'enfoncer un peu plus le clou, qu'il faut quatre tours du monde pour fabriquer un smartphone. Rien que ça. La conception et le design de l'appareil se font le plus souvent aux États-Unis, l'extraction et la transformation des matières premières en Asie du Sud-Est, en Australie, en Afrique centrale et en Amérique du Sud, la fabrication des principaux composants en Asie, aux États-Unis et en Europe, puis l'assemblage final en Asie du Sud-Est. D'ou il est livré, par avion, au reste du monde.
L'entrée d'une mine de cobalt, dans la province très troublée du Kantanga (Congo). | Fairphone via Flickr
Difficile à priori de faire mieux en matière de destruction de l'environnement. Le smartphone est le champion toutes catégories de la pollution massive. Ajoute à cela le fait qu'il constitue également une porte d'entrée pour que les GAFAM nous piquent en toute tranquillité nos données personnelles, il devient tout de suite encore moins sympathique.
Alors, allons-nous sacrifier la planète à notre confort numérique? Où allons-nous tous jeter nos appareils à la poubelle dans un élan salvateur? Que nenni. Ni l'un, ni l'autre. Car une alternative existe désormais.
Écolo, équitable et durable
Commown, une coopérative française créée en 2018 dans le but de promouvoir l'électronique responsable, est depuis quelques mois le distributeur pour la France du Fairphone 2, un smartphone qui bouleverse entièrement les règles de production et de commercialisation de ce type d'appareil.
Mis au point aux Pays-Bas en 2015 par la société du même nom, le Fairphone 2 est le fruit de quatre ans de travail. C'est Bas van Abel, un ingénieur visionnaire, qui en a eu l'idée. Son but était de commercialiser un téléphone connecté qui proposerait la même qualité de service qu'un smartphone standard, tout en étant neutre pour l'environnement.
Après un premier essai en 2014 avec le Fairphone 1, qui s'était écoulé à 60.000 exemplaires, Bas van Abel passe à la vitesse supérieure avec le Fairphone 2, un nouveau modèle plus éco-responsable encore que son prédécesseur –et dont les caractéristiques techniques, certes en retrait par rapport aux ténors du marché, en font un objet tout à fait désirable par quiconque choisirait l'éthique au détriment de la puissance.
Conçu uniquement avec des éléments et des composants électroniques recyclés, il est fabriqué en circuit court, en Chine: sa conception, son assemblage et ses finitions se font au même endroit, afin de polluer le moins possible. En outre, le Fairphone 2 consomme moins d'énergie que ses concurrents. Sa batterie, un élément régulièrement pointé du doigt pour être particulièrement polluant, s'use donc moins vite.
80% de l'empreinte carbone d’un smartphone provient de sa fabrication. Il est donc essentiel de pouvoir le faire durer le plus longtemps possible.
Mais ce n'est pas tout. Basé sur une construction modulaire, il est possible de le réparer soi-même très facilement si il tombe en panne, en changeant simplement le module défectueux. Pas besoin de bidouiller dans les circuits électroniques: c'est à la portée de n'importe qui.
De plus, tous les plans d'assemblage du Fairphone, ainsi que des conseils et des tutoriels pour remplacer un élément défectueux, sont mis à la disposition des utilisateurs. Pour lutter contre l'obsolescence programmée, Bas van Abel mise sur la durabilité.
Le Fairphone et ses modules, facilement réparables ou remplaçables. | Fairphone via Flickr
Éthique digitale
Autre point important, le Fairphone 2 fait attention à n'utiliser que des minerais (étain, cobalt ou tungstène) issus de zones hors conflit. Ceux utilisés par d'autres fabriquants sont parfois issus de zones en guerre, notamment en Afrique subsaharienne, et leur extraction se fait dans des mines contrôlées par des groupes armés. Leur vente aux constructeurs, par le biais d'opérations opaques, sert à financer des guerrillas locales ou des actions terroristes: trouver un moyen pour ne plus exploiter ce type de minerais est donc très important.
C'est l'or, garanti comme issu d'un commerce équitable, qui a été choisi pour équiper en grande partie les processeurs du Fairphone 2. L'or est plus facilement traçable, il peut être acheté un peu partout dans le monde, en passant par des circuits transparents, et il est même possible de remonter jusqu'à la mine d'où il a été extrait pour s'assurer qu'elle n'est pas clandestine. Enfin, le Fairphone 2 utilise 35% de cuivre, 40% de tungstène et 50% de plastique recyclé.
Pour les circuits imprimés du Fairphone 2, nous utilisons de l’or certifié Fairtrade qui garantit le respect de réglementations économiques, sociales et environnementales particulièrement rigoureuses.
Mais Bas van Abel n'a pas simplement concentré ses efforts sur l'éco-responsabilité, il a également rajouté de l'éthique dans le processus global. Les ouvriers qui fabriquent le Fairphone 2 sont rémunérés selon une grille de salaire équitable, et perçoivent une rémunération largement au dessus de la moyenne. Fini l'exploitation des travailleurs, sacrifiés parfois dès leur plus jeune âge au nom du confort numérique.
Pour le rendre accessible au plus grand nombre, le Fairphone 2 est disponible à la location pour le prix d'un forfait de téléphonie mobile de base. Son prix élevé au lancement (525 euros) a suscité de nombreuses critiques, mais il s'explique par le peu d'exemplaires produits, à peine 100.000, et il a désormais baissé à 399 euros. L'éthique et le durable ne sont pas encore à la portée de toutes les bourses, notamment celles des consommateurs de pays émergents.
Un autre détail pourrait froisser la firme de Mountain View au logo coloré: s'il tourne, en sortie d'usine, sur le vieillissant Android 7.1.2 Nougat, le Fairphone 2 peut également se passer de Google et miser sur l'open source, pour que ses utilisateurs et utilisatrices puissent avoir accès à un maximum d'applications et échapper à la collecte et l'utilisation permanente de leurs données personnelles.
En 2009, Samsung avait tenté une expérience similaire avec Blue Earth, un smartphone en forme de galet, construit avec des matériaux recyclés et dont l'empreinte carbone avait été réduite au maximum. Hélas, la firme coréenne avait arrêté la production quelques mois seulement à peine après le lancement de ce modèle, sans doute trop atypique pour l'époque. Peut-être que Fairphone 2 réveillera les velléités écologiques des géants de la tech. C'est à espérer. Car c'est urgent.