Les grands investisseurs mondiaux ont acheté pendant des années des obligations liées à la puissante mafia calabraise 'Ndrangheta, selon des documents financiers et juridiques consultés par le Financial Times.
Entre 2015 et 2019, plus d'un milliard de dollars [882 millions d'euros] d'obligations d'entreprises appartenant au groupe mafieux ont été financées par les grandes banques, fonds de pension ou family office (gestionnaires de patrimoine), lors de transactions privées et hors du contrôle d'agence de notation de crédit ou des marchés.
Les obligations en question étaient créées à partir de factures impayées d'entreprises de services, facturées aux autorités gouvernementales italiennes. Ce type de facture est assorti d'un taux d'intérêt garanti par l'État, ce qui en fait un véhicule d'investissement très attractif, explique le quotidien financier.
Les dettes étaient ensuite reversées dans un immense panier d'actifs au milieu d'autres obligations, puis transformées en titre financier par le biais d'une société intermédiaire (le fameux processus de titrisation, déjà mis en cause lors de la crise de 2008).
Camp de réfugiés et subventions européennes
Si la plupart des actifs contenus dans ces titres étaient parfaitement légaux, certains provenaient de sociétés contrôlées par la 'Ndrangheta ayant réussi à échapper aux contrôles anti-blanchiment.
L'un de ces titres contenait ainsi la dette émise par un camp de réfugiés en Calabre et dirigé par l'organisation criminelle, qui a plus tard été condamnée pour avoir soutiré illégalement des dizaines de millions d'euros de subventions européennes.
Un autre titre souscrit par la banque italienne Banca Generali contenait les obligations d'une société de services médicaux travaillant pour les autorités sanitaires italiennes, et avait même été certifié par le grand cabinet de conseil EY.
Il va sans dire que tout le monde se rejette aujourd'hui la faute. Interrogée par le Financial Times, Banca Generali affirme n'avoir jamais été au courant des réels actifs contenus dans les titres financiers qu'elle avait acquis, faisant confiance aux intermédiaires pour assurer la lutte anti-blanchiment.
La société ayant procédé à la titrisation, basée à Genêve, explique elle aussi s'être appuyée sur d'autres instances de régulation par lesquelles étaient passées les factures.
L'appât d'un gain substantiel et rapide est mis en cause. Selon plusieurs personnes impliquées dans les transactions, les investisseurs sont toujours à la recherche de «placements exotiques» et «à haut rendement», en particulier en ces temps où les taux d'intérêt sont au ras des pâquerettes.