Qualifier Elon Musk de rêveur est aisé –un rêveur dont les idées folles ont tout de même engendré SpaceX et Tesla, rien que ça. Mais, malgré les élans foutraques de sa mégalomanie créatrice, le PDG de Tesla est également un observateur averti des réalités qui entourent ses créations.
À commencer par une dure réalité: l'entreprise traverse une zone d'importantes turbulences au niveau financier comme sur le plan industriel et se doit de chercher de nouvelles sources de revenus tous azimuts. Autre élément concret, plus réjouissant: en dépit d'horizons jugés encore très incertains, les véhicules autonomes ont la cote chez les investisseurs. Honda et le fonds japonais SoftBank, mené par le visionnaire Masayoshi Son, ont placé suffisamment de billes dans Cruise, branche autonome du géant General Motors, pour que la société soit valorisée à plus de 15 milliards de dollars (environ 13,3 milliards d'euros).
Avant même sa très attendue entrée en bourse, l'entreprise Uber a quant à elle trouvé 1 milliard de dollars (près de 892 millions d'euros) dans les poches de Toyota, SoftBank et Denso pour poursuivre son propre programme de voitures sans chauffeur. Waymo, projet d'Alphabet-Google, pourrait écraser la concurrence en atteignant une capitalisation «plusieurs fois supérieure» à celle de Cruise après de prochaines levées de fonds.
Déjà une roue dans le futur?
Troisième réalité: Tesla est déjà très avancé dans le domaine de la conduite autonome et dispose d'ores et déjà d'un important parc automobile quasiment prêt à l'emploi. Pourquoi alors ne pas essayer de croquer une part de ce gâteau si enviable? C'est, en filigrane, ce qu'a annoncé Elon Musk lundi 22 avril lors du bien nommé «Autonomy Day», une conférence donnée depuis les quartiers généraux de Tesla à Palo Alto.
Tout en présentant un nouveau microprocesseur dédié à la conduite autonome, et sans surprise présenté comme le plus en pointe sur le marché, Musk a ainsi claironné qu'il envisageait de déployer un million de «robotaxis» d'ici 2020 aux États-Unis.
Des quoi? Des robotaxis: des véhicules Tesla dotés de la fonction de conduite autonome totale, opérés via une plateforme maison nommée Tesla Network qui prétend concurrencer sérieusement Uber ou Lyft. Un million? Le chiffre, costaud, semble difficile à atteindre passé l'effet d'annonce. Bien que la marque ait prévu d'installer une flotte dédiée, comment produire en un an un nombre suffisant de véhicules pour alimenter le nouveau marché? L'idée derrière ce projet pourrait se révéler aussi fantasque qu'elle semble a priori géniale: toute personne qui possède une voiture éligible pourra participer à cette aventure des taxis robotiques, à la fréquence qu'elle choisira.
Le message fondamental que les consommateurs doivent comprendre et qu'il est financièrement insensé d'acheter autre chose qu'une Tesla.
Le bénéfice promis est énorme: les participant·es pourraient, toujours selon Musk, gagner 30.000 dollars (près de 27.000 euros) par an, et près de 200.000 dollars (178.000 euros) sur la durée de vie de l'automobile, malgré un coût au kilomètre bien moindre qu'un service de taxi classique (18 cents de dollar contre 2 à 3 dollars). Quant à l'entreprise Tesla, elle s'octroiera entre 25 et 30% des revenus issus des courses.
De quoi faire réfléchir toute personnes qui penserait à investir la somme importante que représente l'achat d'une telle voiture –un Model 3 coûte 53.000 euros, contre 86.000 pour un Model S et 94.000 pour un Model X, le tout sans option. De quoi faire dire à Musk, dans son élan, que «le message fondamental que les consommateurs doivent comprendre et qu'il est financièrement insensé d'acheter autre chose qu'une Tesla».
Nombre d'analystes restent bien entendu très sceptiques à la suite de cette annonce, qui est à leurs yeux une simple diversion avant l'officilalisation des résultats financiers de la firme qui devraient être rendus publique fin avril et que Wall Street s'attend déjà à trouver décevants. D'autres objectent que le droit n'est même pas prêt pour encadrer le projet fou de Musk et de ses équipes, la plupart des États américains n'ayant pas de législation permettant à cette vision du futur de prendre vie si rapidement.
Un million de voitures autonomes sur les routes américaines d'ici un an, des dizaines de milliers de revenus potentiels pour les propriétaires de Tesla: tout ceci ressemble à un pari extravagant. Mais en dépit de ses innombrables défauts, Elon Musk n'a-t-il pas déjà réussi des coups de cette envergure?