Jouer partout, à tout, tout le temps, sur n'importe quel écran: c'est la promesse du cloud gaming et du cloud computing. | Blade
Jouer partout, à tout, tout le temps, sur n'importe quel écran: c'est la promesse du cloud gaming et du cloud computing. | Blade

«Le jour de l'annonce de Stadia par Google, on a multiplié nos ventes par deux»

Le cloud gaming semblait être la chasse gardée de l'entreprise française Blade. Interview d'Emmanuel Freund, papa de Shadow, alors que les GAFA débarquent.

Depuis deux ans et demi, l'entreprise française Blade commercialise Shadow, un PC sur le cloud. En gros, cela permet d'avoir un ordinateur super puissant avec seulement un écran, un clavier, une souris et une box Shadow. Tout ce qui est à l'intérieur de l'ordinateur n'est plus au bureau ou chez soi, mais dématérialisé sur des serveurs. C'est le cloud computing.

Depuis le tout début, Blade cible principalement la communauté des gamers, les utilisateurs et utilisatrices les plus exigeantes au monde, car il leur faut des ordinateurs puissants et une latence (délai de communication avec les serveurs) très réduite. Mais voilà que la semaine dernière, Google a dévoilé Stadia, une offre de cloud gaming qui a bluffé tout le monde –cloud gaming qui, au passage, semblait justement être la chasse gardée de Blade.

Nous avons rencontré Emmanuel Freund, le cofondateur et patron de Blade, pour prendre la température. Spoiler: il n'est absolument pas déprimé. Au contraire, il considère que Stadia et les futurs projets des autres géants du numérique sont une très bonne nouvelle pour le jeu vidéo... et même pour Blade.

«Putain, ils sont forts»

korii: Que s'est-il passé dans la tête d'Emmanuel Freund pendant la keynote de Google?
Emmanuel Freund: Ça n'a pas été une vraie surprise. On sait depuis déjà six mois qu'ils y vont tous, vers le cloud gaming. Google aujourd'hui, Amazon, Microsoft ou encore Apple demain. Et cela fait un moment qu'on teste la version alpha de Stadia dans tous les sens et on savait qu'on avait encore une avance technologique.

Là où je me suis gourré, c'est que je pensais qu'ils allaient plutôt parler de leur exclusivité sur certains jeux vidéo ou de leur catalogue. Je ne m'attendais pas à une présentation à l'américaine, une vraie keynote, un feu d'artifice avec la présentation d'énormément de fonctionnalités. Quand j'ai vu ça, je me suis dit: «Putain, ils sont forts».

Alors d'un côté, on a envie de se comparer avec eux et leurs fonctionnalités brillantes. Mais en même temps, on ne peut pas, car le produit n'existe pas encore. OK, ils annoncent le cloud gaming. OK, c'est peut-être le futur de la console. Mais le catalogue, le prix, le mariage avec l'écosystème Google, tout ça reste flou.

Tout le monde est venu nous voir et nous a dit: «Ça vous embête, en vrai, hein, ça vous embête». Ça n'a duré qu'une journée. Après quatre jours, on en parlait beaucoup moins.

Et le moral des troupes chez Blade?
Le lendemain, beaucoup d'appréhension. Tous leurs potes leur disaient «Alors, alors, c'est fini?». Et lorsque le moteur de recherche français Qwant, en soutien, tweete «On est avec toi, frérot», cela renforce ce sentiment. Oui, on s'est tous dit que Google est vachement gros et fort.

Et puis le sentiment s'est rapidement métamorphosé. C'est devenu: «Ah, c'est cool leur truc, mais on s'en fout en fait, c'est pas la même chose». Nous, on fait du cloud computing. Eux, du cloud gaming.

Vous avez vraiment une avance technologique?
On l'a pour deux raisons: déjà parce qu'on est là et pas eux, on a truc qui marche. Ensuite, si l'on se base sur leur version alpha, oui. Notre latence est meilleure. Mais ça ne durera pas. On les devance de six, neuf mois. Mais toute avance technologique est rattrapable. La distinction se fera donc sur les usages.

Ce rattrapage technologique de Google est-il un problème? Je ne pense pas. Nous, on fait un ordinateur, pas une console. On a plein d'utilisateurs qui utilisent Shadow pour faire autre chose que du jeu.

Si tu te fightes directement, en théorie, sur le terrain du cloud gaming, c'est eux. Mais c'est très hypothétique. Ils ne gagnent que s'ils arrivent à proposer tous les jeux du monde, le tout gratuitement.
Emmanuel Freund, patron de Blade

Prenons dans ce cas uniquement le cloud gaming. Est-ce que sur ce périmètre restreint, Google aura un net avantage technologique?
Ils ont une infrastructure mille fois plus grosse que la nôtre, de l'argent et énormément de développeurs. Il faut imaginer qu'on est une armée avec seulement quelques dizaines de personnes avec des armes hyper développées parce qu'on les a travaillées juste pour ça. En face, tu as une armée de 10.000 personnes qui a plein d'armes dans tous les sens, qui ne sont pas si mauvaises, avec en plus plein de menuisiers et de forgerons qui sont en train de fabriquer d'autres armes et de mieux en mieux.

Qui gagne, sur ce champ de bataille?
Si tu te fightes directement, en théorie, sur le terrain du cloud gaming, c'est eux. Mais c'est très hypothétique. Ils ne gagnent que s'ils arrivent à proposer tous les jeux du monde, le tout gratuitement.

Shadow, c'est ça: pouvoir accéder à un ordinateur puissant, donc à des jeux gourmands, n'importe où et sur n'importe quel écran. Attention cependant à ne pas vous faire écraser. | Blade

La vraie différence qui pourrait être décisive, ce ne serait pas la simplicité du dispositif? On ouvre Chrome et en un clic, le jeu est lancé. Shadow, c'est quand même plus compliqué…
Sur la simplicité, ils sont bien meilleurs que nous, j'entends cet argument. Mais comparons ça avec le duel ordinateurs de gaming versus consoles. Une console, c'est beaucoup plus simple, y a juste à la brancher sur la télé. Pourtant, les ordinateurs ont très bien résisté à la simplicité des consoles.

Tout ce que font ces gens-là, Google, Microsoft, Amazon, etc., c'est une bonne nouvelle pour le jeu vidéo. S'il n'y a que Google, c'est une très mauvaise nouvelle pour tout le monde. Heureusement, ça ne risque pas d'arriver.
Emmanuel Freund, patron de Blade

Et concernant le jeu vidéo uniquement, si Google avait un catalogue ultime avec tous les titres –ce qui entre nous serait une mauvaise nouvelle pour l'humanité– alors là oui, la simplicité serait décisive. Mais ils n'auront pas tous les jeux. Regardons les jeux «free-to-play» par exemple, je pense à Apex, à League of Legends ou encore à Fortnite qui n'est même pas sur Android!

Et regardons aussi ce qu'il se passe dans d'autres secteurs: Disney retire ses films de Netflix, Spotify fait un procès à Apple, etc. Google aura peut-être plein de jeux mais il ne les aura pas tous. Avec le cloud computing, qui n'est pas seulement du cloud gaming, on n'a pas ce problème, on peut accéder à tous les jeux.

Tout ce que font ces gens-là, Google, Microsoft, Amazon, etc., c'est une bonne nouvelle pour le jeu vidéo. S'il n'y a que Google, c'est une très mauvaise nouvelle pour tout le monde. Heureusement, ça ne risque pas d'arriver.

Permettez-moi d'insister, mais à terme, votre défi technologique n'est-il pas immense par rapport au «mammouth» Google?
Dans l'absolu si, parce qu'on fait un ordinateur complet où l'utilisateur est complètement libre. On doit gérer les mises à jour Windows, un accès rapide au disque dur, etc. Autant de problématiques que n'a pas le cloud gaming.

On a bien compris que vous proposez un ordinateur complet et pas uniquement des jeux vidéo. Connaissez-vous la proportion de vos utilisateurs et utilisatrices qui utilisent Shadow pour autre chose que du gaming?
Non, car on ne les espionne pas. Et quand bien même on ferait des sondages, les gens qui répondraient, ce serait majoritairement des gamers de 15-25 ans, il y aurait donc un biais.

On se base donc sur les témoignages de nos utilisateurs, avec parfois des usages assez uniques, comme un YouTubeur qui nous a dit qu'une fois sa vidéo tournée, il filait sa session Shadow à son monteur sans passer par WeTransfer ou Dropbox.

Votre marketing initial était ultra-centré sur les gamers. Est-ce que vous allez continuer dans cette voie?
Oui, on va continuer à communiquer énormément sur le gaming pendant un an, un an et demi. On a une autoroute d'ici à ce que Google arrive dont l'annonce d'ailleurs crée un surplus de projecteurs.

Le jour de l'annonce de Google, les gens ont découvert le cloud gaming, on a multiplié nos ventes par deux. Dans les jours qui ont suivi, on a une augmentation qui oscille entre 30% et 40%.

Emmanuel Freund, patron de Blade | Blade

Tout sauf Google

Est-ce que vous pensez que l'image hégémonique de Google peut lui porter préjudice?
Plein de gens viennent nous voir parce qu'ils n'ont pas envie d'un monde avec que du Google dedans. Je ne parle pas forcément des particuliers mais d'autres acteurs économiques d'envergure comme les fournisseurs d'accès à internet (FAI).

Quand Orange ou Free ajoutent du Netflix à leur offre de services, c'est au départ un bonus. Puis ils en deviennent prisonniers, ils doivent ensuite lui reverser de l'argent et n'ont pas le choix car les utilisateurs sont devenus captifs. Avec Google, ce serait encore pire. Avec nous, ça ne serait pas le cas.

Récemment, on a fait rentrer Charter Communications dans notre capital. C'est un FAI américain avec 26 millions de foyers. D'ici la fin d'année, on sortira une offre couplée pour leurs clients. On leur proposera de ne plus avoir d'ordinateur chez eux, ils auront juste une box avec les écrans qu'il faut. Plein d'autres opérateurs sont en train de discuter avec nous.

Bon, évidemment, je ne parle même pas de l'enjeu que l'on connaît autour des données personnelles...

Vous embauchez à tour de bras, en France et aux États-Unis. Ça va continuer?
On avait 20.000 clients en juillet 2018, 65.000 en décembre, on est loin d'un marché mature. On est beaucoup trop petit pour honorer tous nos partenariats. On est actuellement 200, on recrute cinq à huit personnes par semaine, et non, ça ne va pas s'arrêter.

Si Google venait à genoux et vous faisait une offre qu'on ne peut pas refuser?
On m'a déjà posé la question plein de fois, je n'ai pas envie de les racheter. Je veux qu'ils se développent et si leur produit marche, s'ils arrivent à exister vis-à-vis des autres…

Je pensais dans l'autre sens. Si demain, Google arrive et vous propose de vous racheter?
Ah… D'abord, ça n'arrivera pas dans les prochains mois. Tout le monde va attendre que les géants s'y mettent et voir si ça marche ou ça ne marche pas. Les discussions n'arriveront qu'après.

Mais honnêtement, il n'y a aucune raison qu'on vende maintenant. Quand on a commencé Shadow, on avait une fierté bête de se dire qu'on faisait un ordinateur français. À 2 heures du matin, tu as encore les développeurs sur Discord pour essayer de regarder si les mises à jour sont bonnes avec les utilisateurs.

On se marre. J'ai déjà de l'argent, je n'ai pas besoin d'en avoir plus. On n'a pas la prétention de dire que nos valeurs sont meilleures que les autres, mais on aime bien mettre nos idéaux bien plus haut que les plus hauts des idéaux. Si à un moment on voit qu'on n'y arrive plus, que le marché est fermé et qu'on n'a aucune chance d'exister, alors on vendra.

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