En 2018, Achaogen a mis sur le marché un nouvel antibiotique nommé Zemdri, capable de venir à bout des bactéries du type Enterobacteriaceae, résistantes aux antibiotiques classiques. Un succès scientifique indéniable, mais un échec commercial retentissant: le médicament n'a généré qu'un million de dollars en six mois et, en avril 2019, Achaogen a fait faillite.
Avant l'arrivée du Covid-19, la résistance aux antibiotiques constituait «l'une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale», à l'origine de 700.000 morts par an selon l'OMS. Un chiffre en hausse alarmante au fur et à mesure que l'usage des antibiotiques augmente dans le monde.
Logiquement, ce marché devrait aiguiser l'appétit des firmes pharmaceutiques. Aujourd'hui, ces dernières fuient pourtant le secteur comme la peste, car il est devenu bien trop peu rentable.
Alors que les nouvelles thérapies contre le cancer peuvent coûter jusqu'à 600.000 euros par patient, un antibiotique classique comme l'amoxicilline ne dépasse pas quelques euros par boîte.
Marché instable
Tombés dans le domaine générique, la plupart des antibiotiques sont désormais fabriqués par des petites entreprises de biotechnologie aux finances fragiles. Depuis 2018, quatre d'entre elles ont fait faillite, rapporte Nature, 5 des 15 antibiotiques autorisés par la Food and Drug Administration (FDA) dans les dix dernières années ayant vu leur production drastiquement réduite.
Bien qu'indispensables en termes de santé publique, les antibiotiques ne parviennent pas à être valorisés correctement. Les raisons sont complexes. D'une part, les bactéries s'adaptent rapidement aux nouveaux antibiotiques, ce qui limite leur durée de vie.
De plus, le nombre de patients affectés par une résistance aux antibiotiques n'est pas assez large pour rentabiliser rapidement un nouveau médicament. Enfin, utiliser trop largement un antibiotique fait courir le risque de développer une résistance encore plus grande.
Par conséquent, il est recommandé de déployer les nouveaux produits de manière très progressive, ce qui grève leurs revenus. En 2018, trois des nouveaux antibiotiques mis sur le marché (dont celui d'Achaogen) n'ont ainsi été utilisés que dans 35% des cas éligibles.
Enfin, le marché est trop compliqué à décrypter pour les investisseurs. «Il y a certaines infections pour lesquelles on a un cruel manque d'antibiotiques efficaces, et d'autres où au contraire on en utilise trop», décrypte Alan Carr, un analyste du fonds d'investissement Needham basé à New York.
Face à cette situation, deux types d'aides ont été déployés. Les aides «push», qui consistent à financer la recherche et développement des biotechs. Les aides «pull», elles, interviennent après la commercialisation –prime lors du lancement, prolongation du brevet d'autres médicaments du laboratoire, préachat par le gouvernement, etc.
Dans le contexte de l'épidémie de Covid-19, l'utilisation d'antibiotiques est en pleine expansion, du fait des nombreux patients qui développent des infections secondaires. Ceux sous ventilateurs sont mis sous traitement préventif pour éviter d'être contaminés par une bactérie résistante qui entrerait dans les poumons.
Résultat: de nombreuses molécules ont été en rupture de stock dès le début de la pandémie. Une illustration de plus d'un système de santé incapable d'anticiper les crises.