Au Japon, le kaitenzushi –littéralement «sushi tournant»– est une institution qu'utilisent des centaines de restaurants de poisson cru et des millions de clientes et clients régalés.
Le système, que l'on trouve aussi parfois sous nos longitudes, est célèbre et rodé. Assis au bord d'une «conveyor belt», un tapis roulant sur lequel tournent de petites assiettes et les mets qu'elles présentent, la clientèle peut choisir sa pitance au fur et à mesure de ses envies. Elle paie en fin de repas, selon le nombre et le type de plats piochés.
D'autres chaînes plus modernes permettent à tout un chacun de commander le plat de son choix via une borne électronique. Puis tchou! tchou!, l'assiette préparée à la demande déboule quelques instants plus tard sur cette autoroute à poissons crus.
Mais il n'a pas suffi de grand-chose pour faire dérailler ce petit train du plaisir gustatif nippon. Depuis quelques semaines, et la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos d'actes très anti-hygiéniques, un phénomène que le pays a nommé «terrorisme du sushi» sévit et menace le modèle.
Sur l'une de ces vidéos, vue plusieurs dizaines de millions de fois sur les différentes plateformes, comme l'expliquait début février le Guardian, un jeune «terroriste» lèche ainsi le couvercle d'un pot de sauce commun ou des petites coupelles qu'il replace ensuite à disposition des clients à venir.
Dans une autre performance du même type, l'indélicat lèche cette fois ses doigts puis les pose sur un sushi en train de rouler tranquillement sur le tapis, en direction de la bouche qui voudra bien s'en régaler, loin de se douter du traitement qui lui a été réservé en amont.
Lmao theres trending topic in Japan of "sushi terrorism"started when a kid licked sushi & cups in conveyor belt in Sushiro Restaurant.Which led to posts of other bad behaviours in sushi outlets like stealing food & putting wasabi in conveyors. Guess Japan's not so clean after all pic.twitter.com/mbzXCv8e22
— Rihito says 我的推特账户已被归还 (@RihitoPhysicist) February 1, 2023
Sur le cru
D'autres ont ensuite trouvé la plaisanterie suffisamment drôle –et assez puissante pour attirer des likes et du partage– pour, par exemple, s'amuser un peu avec le wasabi mis à la disposition de tous et toutes, s'emparer de plats préparés pour d'autres ou, plus sérieux peut-être, mettre du gel hydroalcoolique sur des mets attendus plus loin sur le tapis roulant.
【悲報】ようやく平穏を取り戻したかに見えた回転寿司ヤバ客界隈に新たな刺客が放たれる
— 滝沢ガレソ🪚 (@takigare3) February 23, 2023
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スシローで回る寿司にアルコールスプレーを噴射する新キャラ『スプロー』参戦
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インスタに堂々と記載されていた所属校(熊本の合志中学校)のwikipediaが荒らされる恒例の流れに… pic.twitter.com/nUArSAT1SR
Les médias nationaux se sont rapidement emparés du sujet, et le pays pouvait commencer à vivre dans la terreur de ces «attentats» aux sushis. Un mois plus tard, Justin McCurry du Guardian revient sur les conséquences de cette crise.
Au-delà de la blague, les répercussions sont sérieuses, sonnantes et trébuchantes. Comme l'explique le quotidien britannique, le marché japonais du kaitenzushi représente un chiffre d'affaires estimé en 2021 à 740 milliards de yens, soit près de 5,1 milliards d'euros.
Ce sont ainsi des centaines de restaurants, ainsi que leurs milliers de salariés, qui ont été frappés par une nette baisse de fréquentation, à la suite à la médiatisation générale de ces «actes terroristes». Ils ont dû tenter de réagir, comme ils le pouvaient.
Forte de soixante-trois franchises, la chaîne Choshimaru a d'abord annoncé retirer tous les condiments et couverts des tables mises à la disposition de leur clientèle potentielle, histoire d'éviter toute bisbille.
Cela n'a semble-t-il pas suffi à rassurer les esprits, puisque la chaîne a ensuite annoncé que ses tapis roulants –donc le cœur même de son modèle– seraient mis à l'arrêt. La clientèle devra sagement attendre son tour à table, prendre commande auprès du personnel et patienter jusqu'à ce que les plats leurs soient amenés. Autant dire que le «sushi tournant» ne tournera plus des masses.
De son côté, l'enseigne Kura Sushi n'arrêtera pas ses tapis roulants pour l'instant. En revanche, elle a annoncé l'installation partout dans ses restaurants de caméras de surveillance connectées à un système informatique, dont l'intelligence artificielle est, nous est-il expliqué, capable de détecter tout comportement inhabituel, voire louche. On n'arrête ni les blagueurs ni le progrès.