Une somme de 155 milliards de dollars (138 milliards d'euros), soit beaucoup plus que n'en pourra jamais contenir votre PEL: estimée par Forbes, c'est la fortune actuelle de Jeff Bezos, l'homme le plus riche du monde.
Bezos n'est pas uniquement le patron d'Amazon, il est également celui de Blue Origin, une entreprise qui a conceptualisé des lanceurs spatiaux réutilisables. Comme le SpaceX du fantasque Elon Musk, Blue Origin a pour objectif une nouvelle conquête de l'espace.
Une conquête d'une autre nature que celle des décennies passées. Les aventures pionnières faites d'expérimentations scientifiques et ponctuelles étendent dorénavant leur horizon pour viser des buts commerciaux afin d'assurer l'avenir du capitalisme et par extension, selon Bezos, celui de l'espèce humaine.
L'Américain, qui a présenté un engin lunaire nommé Blue Moon capable, à terme, d'emporter matériel et hommes sur le satellite de la Terre, a fait part de sa vision grandiose, science-fictionnelle, excitante –ou scandaleuse, selon les points de vue. Il propose rien moins que dessiner le chemin que devraient emprunter l'être humain et l'environnement à l'avenir.
Karl Marx mis en orbite
Bezos sait que le modèle capitaliste à croissance continue, celui-là même qui a bâti sa fortune, est incompatible à terme avec la survie de l'espèce. Les besoins énergétiques sont trop grands et les ressources, mêmes renouvelables, ont une finitude: Ars Technica projette qu'au rythme actuel, il faudrait intégralement couvrir la planète de «fermes solaires» pour que les êtres humains puissent survenir à leurs besoins.
Un constat auquel on peut répondre par deux solutions, explique Bezos: soit rationner sa consommation, soit s'étendre à l'espace. La première, qui revient à imaginer les conditions d'un développement durable, n'a pas ses faveurs: «C'est le chemin qui, pour la première fois, conduirait vos petits-enfants à mener une vie pire que la vôtre», a-t-il précisé. La seconde est de créer une nouvelle «final frontier» au capitalisme: l'espace, dont la conquête, l'industrialisation et l'occupation permanente grâce à des «cylindres O'Neil» monumentaux offrirait une vie paradisiaque en créant de nouveaux horizons et de nouveaux relais pour une croissance sans limite.
La projection que Bezos imagine est une extension assez édifiante du capitalisme tel que Karl Marx le comprenait. Le système fait face à une nouvelle crise, peut-être la plus profonde de son histoire; en l'absence de révolution, il n'y survivra pas par une transformation mais par de nouvelles conquêtes.
Comme le note Motherboard dans une analyse bien sentie, cette expansion vers l'univers ne constitue ni plus ni moins qu'une nouvelle forme de colonialisme. Comme les précédentes, notamment la conquête des Amériques par l'Europe, elle ne pourra reposer que sur l'exploitation, la soumission, les déséquilibres entre les privilégé·es et les autres, dont la domination conditionne l'existence même de ces richesses.
Cette vision est également très proche du synopsis du film de science-fiction Elysium, où l'on voit une population aisée vivre dans de confortables stations spatiales, alors que la plèbe se débat dans la pauvreté sur le plancher des vaches.
Pour Jeff Bezos, le choix semble fait: il est déjà trop tard pour accorder l'espèce humaine à la survie de son environnement et la sauvegarde d'une Terre transformée en sanctuaire ne peut passer que par la perpétuation de ce qui pourtant semble la condamner.
On peut, espérons-le, imaginer d'autres solutions, moins excitantes pour le lectorat de science-fiction mais plus concrètes pour qui souhaite construire un avenir sans apocalypse.