Un million d'exemplaires pour Dead Cells, un succès est largement mérité. | Via Motion Twin
Un million d'exemplaires pour Dead Cells, un succès est largement mérité. | Via Motion Twin

«Chaque personne a une voix»: l'égalité selon Motion Twin, le studio de «Dead Cells»

Dans l'économie du jeu vidéo, Motion Twin est un cas à part: une coopérative où bénéfices, travail et décisions se partagent équitablement.

lls sont huit: sept hommes et une femme, trois graphistes et cinq développeurs, tous installés à Bordeaux. Ensemble, ils forment le studio Motion Twin à l'origine du récent Dead Cells, exceptionnel jeu d’action qui leur a permis de percer à l’international et qui a fini par atteindre le million d'exemplaires vendus dans le monde.

Dès la première page de son site, Motion Twin prône une philosophie horizontale: le studio est une SCOP, une société coopérative et participative.

Pour mieux comprendre l'impact de ce choix sur les réalités et le quotidien du travail de bureau, Mathieu «Tipyx» Pistol et Sébastien «Deepnight» Bénard ont répondu à nos questions.

Matthieu est arrivé à Motion Twin en 2013, lorsque l'entreprise était concentrée sur la production de jeux mobiles. Bastien, lui, est là depuis le quasi-départ, est développeur et équilibre le fonctionnement des jeux –c'est lui qui les rend, pour ainsi dire, jouables.

Si vous n'avez pas encore essayé Dead Cells, nous ne pouvons que vous conseiller de le faire: ce jeu où la mort n'est qu'un éternel recommencement et ses mécanismes malins sont un véritable chef d'œuvre du genre.

Pouvez-vous nous faire une histoire sommaire du studio?

Sébastien: La boîte a été créée en 2001. L'idée de créer une équité était là, mais initialement, c'était une SARL standard. Nous sommes devenus SCOP en 2004, à une époque où la problématique se posait avec l'entrée d'une nouvelle personne dans l’équipe. Plus la boîte avait de l'ancienneté, plus les places, donc les parts, étaient chères. Jusqu'à 2013, le cœur de métier de Motion Twin était dans le free to play, notamment sur le web. On est passés par le mobile, ce n'était pas ouffissime... On a migré vers le jeu PC à l'occasion de Dead Cells.

Mathieu: Il y a eu deux Motion Twin. Le public de Dead Cells n'est pas celui de nos autres productions.

Sébastien: C'était notre premier projet qui, dès le départ, nous a permis d'exister en tant que boîte à l'étranger.

Tous chefs d'entreprise, mais pas de patron: Motion Twin détaille sa philosophie sur son site. La légende ne dit pas si, à Motion Twin, tout le monde travaille en chaussettes. | Via Motion Twin

Dès la première page, le site de Motion Twin met en évidence les valeurs d'équité de la boîte. À quoi ça ressemble, concrètement?

Sébastien: La boîte est basée sur trois égalités. Le temps de travail, donc le nombre d'heures, une égalité de salaire, tout le monde est payé de la même manière, puis une égalité de décision. Chaque personne dans l'entreprise a une voix pour n'importe quel sujet ou n'importe quelle décision. Il y a une exception pour les associés. C'est le but de tout le monde à terme, sauf pour ceux qui sont en première année de test. Ils sont en CDD, c'est la seule exception.

Mathieu: On va essayer de recruter un associé. Cette personne est-elle efficace? En général, on le voit très vite, mais le côté humain est aussi important: est-elle force de proposition? Maintenant, on est huit, tout le monde parle et a son avis sur la question. Savoir écouter les autres est essentiel. Le CV et l'humain, testé sur le long terme. Si on doit avoir un problème, un an de CDD, ça peut paraître long, mais c'est indispensable.

Quels genres de votes avez-vous faits ces dernières semaines?

Sébastien: On travaille sur un trailer, ça peut concerner. On déménage dans pas très longtemps, des questions peuvent se poser sur les locaux et son espace. Comment on les aménage, comment on dispose les cloisons? Chacun y est allé de son plan. Cela peut aussi être fait pour les stands, des opérations marketing à venir dans l'année, notamment pour des salons. Sur les jeux eux-même, ça concerne les dates de sortie, les contenus supplémentaires, etc.

Mathieu: Mais on coupe si jamais une fonctionnalité ne marche pas. À la base, Dead Cells était un jeu de genre tower defense. Ça a demandé une grosse décision d'équipe, mais c'était un consensus, on l'a validée tous ensemble.

Sébastien: Ça peut être des décisions dans le code, dans le gameplay, des décisions comptables ou liées à la partie graphique. S'il n'y a pas de personne attitrée, on discute collégialement. C'est toujours le meilleur qui en ressort, même pour les petites problématiques.

Est-ce une mentalité qui ne marche qu'avec un petit nombre? À 15 ou 20, pourrait-on garder cette horizontalité?

Mathieu: Les réunions seraient plus longues (rires).

Sébastien: J'ai un avis plus tranché là-dessus. Non, ce ne serait pas possible. Le plus gros de l'équipe, c'était dix-huit personnes. Il y avait des bugs dans tous les sens, il fallait repenser les processus de décision. On peut citer Rovio, la boîte d'Angry Birds, qui y arrive avec une tonne d'outils mis en place pour permettre la communication dans les équipes.

Tout le monde peut être patron, il suffit d’intégrer une SCOP.

Par quel genre de canaux communiquez-vous? Par Slack ou Discord, ou cette horizontalité se retrouve aussi sur le plan physique?

Mathieu: Un peu des deux.

Sébastien: L'essentiel passe en ligne, via un Slack interne. Il n'y a pas si longtemps, on avait des comptes Twitter privés. C'est parfait si on veut donner son avis sans pour autant s'interrompre dans quelque chose. Mais ce sont des discussions qui durent plusieurs jours ou semaines. On écrit un truc, et on retourne bosser. S'il existe un besoin de discussion plus formelle, on ne tourne pas autour du pot et il y a une décision à la fin. Une réunion qui se passe mal, c'est une réunion sans décision.

On peut confronter ça à la culture du crunch [une phase accompagnant la fin de production d'un jeu, surtout s'il est d'ampleur, où le personnel effectue des heures supplémentaires tous les jours, ndlr], qui a été discutée avec le studio Rockstar pour le jeu Red Dead Redemption II. Vous y êtes sensibles, ça vous arrive de faire des heures supplémentaires? Tout le monde doit en faire?

Sébastien: Justement, on parlait d'outils en interne. On en a un, qui s'appelle Kronos. C'est notre pointeuse interne, on note dessus les heures rendues sur le projet. Pendant Dead Cells, c'était en général huit heures. Ça permet de quantifier, donc de traquer le coût jour/homme par projet. Ça permet aussi de noter ce qu'on appelle le swap: c'est un système de permutation d'heures, pour pallier les imprévus de la vie. Mais ça marche aussi dans les deux sens: l'heure en négatif te sera rendue quand tu veux –avec tout de même un plafond, pour ne pas inciter à bosser tout un week-end pour se donner deux jours de congés plus tard. L'excès inverse n'est pas non plus souhaitable. D'une manière générale, tout le système mis en place est là pour augmenter la synchronisation entre les équipes. Le plus important, ce n'est pas le nombre d'heures, mais le nombre d'heures en même temps.

Le crunch n'est pas un idéal pour nous. Disons qu'on est en week-end, qu'il pleut et qu'on n'a rien à faire. On se dit: «Tiens, je vais faire des heures.» Toutes les microdécisions prises sur ce week-end seront incomprises par le reste de l'équipe, et tu vas perdre du temps à les réexpliquer. Tu as littéralement fait du travail pour rien. Et si on bosse tard le soir, on perd du temps plus tard à rester comme un zombie devant son PC.

Mathieu: Une très bonne vidéo de la chaîne Game Spectrum en parle. Jetez-y un coup d'œil! La solution présentée, par contre...

Sébastien: Je ne sais pas si c'est une bonne idée.

«Comment se fabriquent les jeux vidéo»: la vidéo de Game Spectrum mentionnée par Mathieu Pistol.

Si l'un d'entre vous a un problème majeur ou incapacitant, tout l'équilibre n'est-il pas rompu?

Sébastien: On a notre propre théorie, on l'appelle «Lolo sous le camion». Laurent était un ancien associé –je rassure, il n'est pas mort–, qui s’occupait de tout ce qui était serveurs et infrastructures de la boîte. Littéralement, s'il passait sous le camion, on savait que le studio était en péril. C'est pourquoi on essaie de répartir le plus possible les compétences. Comptables, gestion des serveurs, gameplay, animation 3D: on essaie toujours de mettre une deuxième personne dans la boucle.

Peut-on évoluer chez Motion Twin? Tout le monde doit-il le faire en même temps?

Mathieu: On a notre «SMIC Motion Twin». C'est un salaire garanti qui correspond au niveau de vie bordelais. Le reste, c'est l'excédent qui dépend des résultats de l'année. Il n'y a pas de perspective d'évolution, sauf si on a un projet qui cartonne.

C'est ça, le ruissellement, finalement.

Sébastien: Exactement. Et on transforme son travail en argent et énergie, ça reste positif.

Mathieu: On est tous des chefs d'entreprise. Tout le monde a quelque chose à faire.

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