Le 29 juillet dernier, Kodak a surpris son monde en annonçant qu'elle allait désormais produire des ingrédients pour le secteur pharmaceutique, dont la fameuse hydroxychloroquine.
Une reconversion généreusement financée grâce à un prêt de 765 millions de dollars [644 millions d'euros] de l'administration américaine et qui, en pleine pandémie de coronavirus, a subjugué les marchés avides de valeurs du secteur santé. Le titre de la firme a ainsi flambé de plus de 1.600% à Wall Street, passant de 2,14 dollars à 33,50 dollars le 30 juillet.
Les investisseurs feraient pourtant bien de se méfier du plus récent des revirements du fabricant historique de pellicules et d'appareils photo. Fondée en 1892, la vénérable entreprise américaine a complètement raté la transition numérique dans les années 2000.
En 2012, Kodak se déclare en cessation de paiement, alors qu'elle n'a plus engrangé le moindre bénéfice depuis cinq ans. Elle liquide les 1.100 brevets qu'elle détient pour effacer une partie de ses dettes et tente de sortir péniblement la tête de l'eau, en se recentrant sur les services d'impression et les produits chimiques à usage industriel.
Du coq à l'âne
Première surprise en janvier 2018: le groupe annonce qu'il se lance dans les cryptomonnaies, avec la création d'une plateforme cryptée et sécurisée de gestion de droits d'images, où les photographes pourront être rémunérés en KodakCoin.
À l'époque, nous sommes en pleine bulle blockchain. Le Bitcoin s'échange à plus de 15.000 euros et on compte près de 1.600 cryptomonnaies différentes. Autant dire que l'annonce régale les investisseurs: le titre Kodak bondit de 245% en Bourse immédiatement après l'annonce. Et puis... plus rien. Le fameux KodakCoin n'est même pas mentionné dans le rapport annuel 2018 de l'entreprise. Le marché des cryptomonnaies tombe en pleine débandade et, six mois après son coup de com', l'action Kodak a replongé sous les 2,10 dollars.
En 2020, Kodak s'est trouvé de nouveaux buzzwords: la santé et la relocalisation des activités pharmaceutiques, prônée par Donald Trump. Peut-on croire sincèrement à ce nouvel effet d'annonce? Certes, le prêt de 765 millions de dollars constitue bien de l'argent sonnant et trébuchant, mais le rallye boursier sur Kodak s'apparente bien plus à une bulle qu'à un véritable pivot stratégique.
La flambée a largement été alimentée par des petits boursicoteurs inscrits sur la plateforme de trading Robinhood: 79.000 personnes se sont ainsi précipitées sur la valeur pour profiter de la hausse.
Plus gênant, un soupçon de délit d'initié pèse sur les dirigeants. En mai, alors que Kodak est en négociations avec le gouvernement américain pour la production de médicaments, 240.000 stock-options sont distribuées aux membres du conseil d'administration, un ajout inédit à sa distribution habituelle d'actions en janvier.
Le gendarme boursier américain (Securities and Exchange Commission, SEC) vient en outre de lancer une enquête sur ce soudain rebond boursier et sur l'activité inhabituelle autour du titre Kodak, juste avant l'annonce de l'accord. Le Wall Street Journal suggère que des télévisions locales avaient peut-être fait fuiter la nouvelle avant la fin de l'embargo.