Les investisseurs de la Silicon Valley ne cherchent pas à ce que leurs entreprises soient rentables. Certaines de celles qui lorgnent une entrée en Bourse voient leurs profits s'envoler mais affichent dans l'autre colonne de colossales pertes, sans perspective de profit: c'est peut-être la constatation d'un changement de paradigme à Wall Street.
Le cas de Lyft est éloquent. La société de transport entre particuliers a initié la procédure préalable à une entrée en Bourse et a commencé à rencontrer des fonds d'investissement intéressés. Le prix de l'action oscille entre 62 et 68 dollars [entre 55 et 60 euros], mais la demande est tellement forte que cette estimation pourrait être dépassée. L'entrée en Bourse de Lyft pourrait valoriser l'entreprise à hauteur de 23 milliards de dollars [environ 20,4 milliards d'euros] –et peut-être même plus.
Lyft a enregistré un chiffre d'affaires de 2,2 milliards de dollars [plus de 1,95 milliard d'euros] en 2018, mais n'est toujours pas rentable. La même année, la société a affiché 911 millions de dollars de pertes [environ 811 millions d'euros] –ce qui fait d'elle la start-up américaine la plus déficitaire à entrer en Bourse, selon le Wall Street Journal.
En clair, Wall Street parie sur une croissance des bénéfices de Lyft, et à terme sur sa capacité à atteindre une profitabilité qu'elle a pourtant elle-même dessinée comme incertaine, expliquant «investir uniquement dans la croissance plutôt que dans le profit».
Gare aux «accidents industriels»
Uber, son principal concurrent, prévoit également son entrée en Bourse ce printemps et estime pouvoir atteindre une valorisation d'environ 120 milliards de dollars [environ 107 milliards d'euros]. Le groupe de VTC a lui aussi connu des pertes importantes, 865 millions de dollars [plus de 770 millions d'euros] sur le seul dernier trimestre 2018, et n'a jamais été rentable non plus.
WeWork, la licorne spécialisée dans le coworking, rentre aussi dans cette catégorie de manière fracassante. Entre 2017 et 2018, l'entreprise a doublé ses revenus comme ses pertes, qui ont respectivement atteint 1,82 et 1,9 milliard de dollars [1,6 et 1,69 milliard d'euros]. Non cotée en Bourse, la société réfléchit à se lancer avant la fin 2019.
Avec 145 licornes en activité aux États-Unis, représentant une valeur totale de 555,9 milliards de dollars [environ 494 milliards d'euros], Wall Street garde forcément un œil sur ce pactole.
Mais la promesse d'une croissance exponentielle ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt des pertes, et les investisseurs peut-être trop optimistes ne sont pas à l'abri de coûteux «accidents industriels» dans les prochaines années.