Dans l'une des rares boutiques Glossier. | Charisse Kenion via Unsplash
Dans l'une des rares boutiques Glossier. | Charisse Kenion via Unsplash

Les marques en ligne savent recevoir leur clientèle... en boutique

Le Slip Français, Le Pantalon ou Glossier: les marques nées sur et par le web menacent-elles les boutiques physiques telles qu’on les connaît aujourd’hui?

Lorsque l'on parle de success story en matière de business, la marque de beauté Glossier arrive rapidement sur le tapis. Emily Weiss, ancienne assistante mode des magazines américains Teen Vogue et W, a fondé son blog beauté Into the Gloss en 2010. Quatre ans plus tard, elle a lancé Glossier (qui se prononce à la française comme on dirait «Glossiez» pour paraître plus chic).

Aujourd’hui, son entreprise de soins et de maquillage valorisée à 1,2 milliard de dollars (1,07 milliard d'euros) ne compte pourtant que trois points de vente physiques aux États-Unis: à Los Angeles, New York et Seattle.

De leur côté, les centres commerciaux traditionnels se voient de plus en plus désertés: un quart d’entre eux devraient même fermer outre-Atlantique d’ici 2022, selon une étude publiée en 2017 par le Crédit Suisse. De là à dire que le commerce de demain s’effectuera principalement en ligne, il n’y a qu’un clic. À ne pas presser trop vite.

Un succès qui se mesure sur Instagram

La réussite de Glossier doit aussi à la façon dont la marque a su faire de ses points de vente physiques de véritables lieux d’expérience, particulièrement instagéniques.

Murs colorés, messages en néons inspirants, et staff commercial trié sur le volet donnent à la clientèle, en particulier les plus jeunes, l’envie de (re)venir et même de le documenter sur les réseaux sociaux.

Nouvelle ouverture: la boutique Glossier, notre nouvelle expérience de magasinage multi-étages au 123 Lafayette St, New York. Venez!

Autre marque née sur le web, même constat: Away, entreprise de bagages fondée en 2015, qui ne possède que cinq boutiques aux États-Unis. Sa co-fondatrice Jennifer Rubio les considère comme des «panneaux d'affichage rentables». Elle l’expliquait lors d’une conférence Recode’s Code Commerce à New York en septembre 2018.

Pour juger du succès de ses points de vente, elle dénombre les posts Instagram qu’ils suscitent.

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Primat de l'expérience sur la possession

C’est ce que deux auteurs américains, B. Joseph Pine II et James H. Gilmore, appellent «l’économie de l’expérience»: mieux qu’un produit, les boutiques doivent vendre du rêve.

En la matière, Meow Wolf, collectif d’artistes qui s'est transformé en start-up du divertissement à la Disney, excelle. Ouverte en 2016, leur installation-attraction The House of Eternal Return (la maison de l'éternel retour) a réalisé un chiffre d'affaires de 6,8 millions de dollars (6,1 millions d'euros) en un an.

Flairant le filon, les tycoons de l’immobilier Fisher Brothers s’y sont alliés pour créer le mall du futur: Area 15, qui devrait ouvrir l’an prochain à Las Vegas. «C'est un centre commercial pour une nouvelle génération, des individus qui accordent une plus grande valeur à l'expérience qu'à la possession», expliquait à Rolling Stone en janvier 2019 le co-fondateur de Meow Wolf, Corvas Brinkerhoff. «Si Area 15 fonctionne bien, nous pourrions en construire cinquante dans les dix prochaines années.»

Quand tes vêtements vont avec la pièce.

Et c’est bien là que réside l’enjeu: plus précaires que jamais, les jeunes générations renoncent souvent à la possession matérielle pour y préférer l’usage de services.

Pour les nouvelles marques nées sur le web et focalisées sur un seul produit comme Le Slip Français ou Le Pantalon, l’expérience permet d’appâter le chaland. «Il n’est pas paradoxal que les Digitally Native Vertical Brands (DNVB, marques commerciales en ligne) soient devenues si expertes en points de vente physiques expérientiels», analyse Laura Brown, consultante mode, design et luxe en développement de marques.

Au moment d’ouvrir un point de vente physique, les DNVB déploient tout l’imaginaire qu’elles ont dû développer en ligne avec leur communauté.
Laura Brown, consultante en mode et développement de marques

«Quand on commence sur le web aujourd’hui, le challenge consiste d’emblée à dépasser la simple fonction d’achat pour atteindre le stade de la conversation avec la clientèle afin qu’elle s’attache et revienne. Au moment d’ouvrir un point de vente physique, ces marques se demandent comment continuer d’avoir des conversations qui leur ressemblent et déploient naturellement tout l’imaginaire qu’elles ont dû développer en ligne avec leur communauté», poursuit Laura Brown, fondatrice de Phœnix Brain Rising, accélérateur d’entreprises créatives alliant conseil et formation.

Le lieu de vente est mort, vive le lieu de vie

Autrement dit, le succès des DNVB n’annonce pas la mort des points de vente physiques mais confirme plutôt la nécessaire mutation de ces derniers en tiers-lieu sensationnels. «C’est ce qui faisait la force du concept-store parisien Colette par exemple [fermé fin 2017]», rappelle la consultante mode, design et luxe.

«Ce n’était pas une boutique multimarques dont l'unique fonction consistait à vendre des produits mais bien un espace de découverte, d’imaginaire et de rêve.» Les lieux de vente sont morts, tués par Amazon? Vive les lieux de vie. À l’image des boutiques de la DNVB d’habillement féminin française Sézane, qui s’appellent carrément «L’Appartement».

La conclusion revient à Laura Brown: «Grâce au e-commerce on n’a plus besoin de se déplacer pour acheter un simple produit. C’est pourquoi les points de vente physiques traditionnels peuvent prendre exemple sur les DNVB pour aller au-delà du simple service proposé à la clientèle. Si on prend le temps de se déplacer, c’est parce qu’on s’attend à un effet "waouh". Que le produit se doit procurer, certes, mais aussi sa présentation, les conseils dispensés, l’écrin qu’est la boutique qui peut aussi y accueillir des événements. La clientèle veut se sentir comme à la maison ou vraiment s’amuser. Pour durer, les points de vente physiques doivent créer une expérience marquante, ce qui passe par les émotions.»

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