«La pizza, c'est pour tout le monde.» | Capure d'écran Tom Darbyshire via YouTube
«La pizza, c'est pour tout le monde.» | Capure d'écran Tom Darbyshire via YouTube

Mikhaïl Gorbatchev et Pizza Hut: grande histoire et petites anecdotes pour une pub mythique

La «slice» la plus chère de l'histoire?

C'est sans doute, pour le monde dans son ensemble, l'une des publicités les plus marquantes des années 1990. Quelques années après la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, Mikhaïl Gorbatchev offrait sa stature d'ex-leader de super-puissance à une chaîne de restauration rapide américaine, Pizza Hut, symbole du capitalisme triomphant s'il en est.

En 2019, le politologue Paul Musgrave consacrait dans la revue Foreign Policy un long article à l'histoire très particulière de ce spot mythique qui, année après année, continue régulièrement de circuler en ligne quand les autres ont depuis longtemps sombré dans l'oubli collectif.

«Pour les personnes qui ont créé la publicité –les agents, les créatifs, les exécutants–, ce fut une réussite majeure, écrit l'Américain. Mais pour Gorbatchev lui-même, l'histoire de cette réclame est une tragédie: celle d'un homme cherchant à trouver –et financer– une place dans un pays qui ne voulait plus rien avoir à faire avec lui.»

Paul Musgrave revient ainsi sur le décalage entre l'image de Gorbatchev dans le monde occidental, celle positive d'un leader progressiste et de paix, et celle au sein des pays de l'ex-bloc soviétique où, dès la chute de l'Union soviétique et la prise de pouvoir de son ennemi Boris Eltsine, il était devenu un paria politique.

Les deux hommes, d'ailleurs, se haïssaient; «S'ils nous pendent tous les deux, assurez-vous qu'ils ne le fassent pas au même arbre que moi», aurait déclaré Gorbatchev, drôlement amer, à propos de son successeur. Malgré son image interne déplorable, il croyait encore pourtant dans les années 90 à l'importance future de son rôle politique dans la nouvelle Russie. Une influence notamment portée par sa fondation, à laquelle Eltsine a rapidement coupé une partie des vivres.

En 1991, Gorbatchev se voyait attribuer une retraite officielle de 4.000 roubles mensuels. Mais elle n'était alors pas indexée sur l'inflation: comme le rapportait Meduza en 2018, la pension de l'ex-leader ne valait plus que 2 euros mensuels en 1994.

Pour boucler le bâtiment et payer le personnel de sa fondation politique, Gorbatchev avait donc un impérieux besoin d'argent, que ses prestations et conférences données partout dans le monde, pourtant grassement payées, ne suffisait pas à abreuver.

Za Gorbacheva!

Au même moment, Pizza Hut a besoin d'une figure internationale à laquelle accrocher le train de son développement global, «d'une idée qui puisse réellement voyager à travers les continents», pour reprendre les mots d'un ex de la chaîne, Scott Helbing. C'est la firme BDDO qui, depuis des années, réalise les publicités de la marque.

L'idée un peu folle y germe d'engager Gorbatchev pour une publicité tournée en Russie, et destinée à être diffusée partout dans le monde. Encore faut-il négocier la chose: l'ex-dirigeant soviétique n'est représenté par personne, et c'est Katie O’Neill Bistrian qui fera l'intermédiaire.

Elle prend contact avec l'entourage du Russe, qui hésite lorsque l'idée lui est présentée. Sa femme Raisa Gorbachev émet notamment de sérieuses réserves sur l'image écornée qu'une apparition dans une publicité si occidentale, si capitaliste, pourrait engendrer. Mais son mari Mikhaïl a urgemment besoin d'argent.

Alors il se fait désirer, négocie plusieurs mois, fait monter les enchères, représenté par Katie O’Neill Bistrian. Nul ne sait combien le contrat, au final, lui a rapporté. «Cela pourrait être l'un des plus gros paiements à une vedette de l'histoire, un montant qui aujourd'hui monterait facilement vers une somme à sept chiffres», écrit Musgrave.

Il pose néanmoins quelques conditions. Il souhaite pouvoir donner son imprimatur au script final. Plus étrangement, il refuse d'être filmé en train de manger de la pizza. «En tant qu'ex-leader, c'est impossible», se justifie-t-il. Un compromis est trouvé: ce sera sa petite-fille Anastasia Virganskaya qui, dans le spot, avalera la chose.

Le tournage a lieu en 1997, en Russie. De gros moyens sont mis sur la table par BDDO, qui tient à ce que le film ait une qualité cinématographique. Une partie de la publicité est tournée sur la Place rouge, l'équipe parvenant même à filmer quelques plans larges et extérieurs depuis le sommet du Kremlin. Les scènes intérieures sont tournées dans un autre restaurant, plus vaste et en fonctionnement.

Interviewé lors du tournage, Gorbatchev déclare pour justifier sa participation à la campagne que «la pizza est pour tout le monde». «Ce n'est pas seulement de la consommation, explique-t-il, il est aussi question de socialisation.»

De fait, la publicité montre une discussion entre Moscovites sur le bilan de l'ère Gorbatchev. Un jeune homme s'extasie de l'ouverture au monde, des libertés, des opportunités nouvelles. Un type plus âgé, peut-être son père, regrette l'ancien temps du communisme, se lamente de l'instabilité politique et de la confusion économique.

Tous s'accordent finalement sur un argument imparable, soufflé par une femme, peut-être une vieille tante: grâce à Gorbatchev, les Russes ont enfin accès à la bonne pizza occidentale, ou plus précisément américaine. C'est suffisant pour que résonnent des «Hourra pour Gorbatchev!» («Za Gorbacheva!») en fin de publicité, dans le restaurant puis partout dans la ville.

Des félicitations en russe semblant issues du monde capitaliste plutôt que de la Russie elle-même, qui n'aura offert que désamour et désintérêt à son vieux chef après son départ.

L'ironie est qu'un an après le tournage de la publicité, en 1998, la Russie subira une crise financière majeure, qui mettra durablement au tapis sa nouvelle économie bourgeonnante. Il se dit que le restaurant où a été tournée la publicité a alors dû fermer ses portes. Mikhaïl Gorbatchev lui-même a admis plus tard avoir vu la quasi-totalité de ses gains effacé par la tempête. Mais les images, elles, sont restées.

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