C'est tout simplement la plus grande entreprise de transport maritime au monde. Avec ses 645 navires, MSC (pour «Mediterranean Shipping Company») fait office de mastodonte. Mais visiblement, cela a un peu trop fini par être de notoriété publique. Tant et si bien, nous explique Bloomberg, que des commanditaires moins honnêtes que la moyenne –c'est une litote– ont eu l'idée de faire appel à ses services.
C'est ainsi qu'en 2019, le service américain des douanes et de la protection des frontières a fini par saisir le Gayane, bateau d'une valeur de 100 millions de dollars (94 millions d'euros) utilisé par MSC, sur lequel ont été retrouvés 20 tonnes de cocaïne. Valeur marchande: 1 milliard de dollars.
La viande humaine, tu la tiens
dans ta main
Réalisant une centaine d'entretiens, Bloomberg a produit un travail hallucinant sur cette affaire, racontant comment des gangs venus des Balkans sont parvenus à infiltrer les équipages des bateaux de MSC en l'espace d'une décennie, et comment ils sont parvenus à mener leur barque en utilisant la corruption, le chantage... et quelques bateaux hors-bord.
Bloomberg fait état d'un recrutement au gré duquel ont été aussi bien maniés la carotte que le bâton. Par exemple, un homme de main du gang s'est approché d'un membre de l'équipage du Gayane, le Monténégrin Aleksander Kavaja, et a d'abord commencé par le menacer: s'il n'acceptait pas le téléphone qu'on lui donnait, et qui lui permettrait de recevoir des ordres, sa famille aurait de sérieux ennuis. En revanche, une fois affirmée sa volonté de coopérer –avait-il le choix?–, Aleksander Kavaja s'est vu offrir la somme de 50.000 euros.
Initialement, les gangs à l'origine de ce vaste trafic étaient des groupes militaires privés, qui ont fini par se muer en experts du trafic d'armes, du vol de voitures et du blanchiment d'argent après la guerre des Balkans.
Le fait qu'ils incluent d'anciens agents de police ou des services secrets constituait bien évidemment un avantage non négligeable et leur permettait de pratiquer leurs activités sans être inquiétés, parfois en ayant recours à une extrême violence. Exemple absolument charmant: en 2021, la police de Belgrade a mis la main sur un hachoir à viande industriel dans lequel elle a trouvé des traces d'ADN humain.
Charge en haute mer
Afin de ne pas éveiller les soupçons à terre, la drogue était chargée dans les bateaux en pleine mer, avec l'aide –parfois contrainte, comme on l'a vu précédemment– de certains membres de l'équipage. Des vedettes convoyaient des sacs de sport noirs jusqu'aux navires, au bord desquels les complices se chargeaient de les acheminer grâce à des systèmes de poulies. Le tout s'effectuait sans même arrêter les bateaux. Ensuite, tout était chargé dans des containers laissés volontairement libres.
Dans l'enquête, on apprend que trois ans avant l'impressionnante saisie réalisée sur le Gayane, MSC avait été informée qu'une partie de ses employés était corrompue. À Rotterdam, certains avaient même été surpris par le personnel du port en train de réaliser des transferts de sacs.
«Nous leur avons dit ce que nous avons vu et que cela devait cesser», explique le chef de la police du port de Rotterdam à propos de MSC, Finalement, les menaces de saisie n'ont pas été suivies d'effets –mais les États-Unis s'en sont chargés trois ans plus tard.
Si quelqu'un souhaite adapter cette incroyable histoire en série façon The Wire, on lui conseille de commencer par lire en détails la très longue enquête publiée par Bloomberg, qui se dévore comme un roman. Ou un scénario.