Un soir de mars 2004, dans un casino londonien, un homme nommé Niko Tosa a remporté des gains historiques à la roulette. Dans une déclaration rédigée plus tard, un des cadres du lieu n'hésita d'ailleurs pas à affirmer qu'en vingt-cinq ans de carrière, il n'avait jamais vu victoire aussi impressionnante.
Encadré par un homme d'affaires serbe et une comparse hongroise, Niko Tosa s'est installé à une table. La méthode de jeu du trio était visiblement légale, mais elle mit néanmoins la puce à l'oreille du personnel, qui n'avait pour ainsi dire jamais vu ça.
Les deux joueurs et la joueuse ne plaçaient pas leurs paris à n'importe quel moment: ils attendaient six à sept secondes après le lancement de la petite bille par le croupier, au moment même où la roulette commence à ralentir légèrement.
Les paris effectués portaient généralement sur une quinzaine de numéros à la fois, c'est-à-dire une série de cinq par membre du trio (pour une roue numérotée de 0 à 37). Sans gagner systématiquement, Niko Tosa et sa bande parvenaient à enchaîner les victoires. Huit à la suite, voire dix, ou même treize.
Visionnaires
«C'était presque comme s'ils pouvaient lire dans l'avenir, écrit Kit Chellel, journaliste de Bloomberg relayant cette histoire. Ils ne réagissaient ni aux victoires ni aux défaites, ils se contentaient de jouer.» Parfois, ils ne semblaient même pas suivre la bille des yeux, comme si l'issue de chaque tour n'avait pas d'importance.
L'équipe du casino commença à observer le petit groupe avec nervosité: son tas de jetons ne faisait quasiment qu'augmenter au fil des minutes. Mais ce n'était pas le montant empoché qui angoissait les responsables du lieu, qui avaient déjà vu quelques gagnants très chanceux ou très doués partir avec des sommes considérables. Non, ce qui les préoccupait particulièrement, c'était la fréquence des victoires. Comme s'il était possible à ces trois-là de défier le hasard presque à chaque fois.
Le 16 mars 2004, quelques heures après minuit, Niko Tosa et ses complices ont quitté le casino après avoir multiplié leur mise initiale par un nombre compris entre 10 et 12. Et le Croate a clairement affirmé aux employés du casino qu'il reviendrait le lendemain.
En quelques heures, la police et la presse se sont emparées du sujet, et Niko Tosa n'a pu revenir comme il l'avait annoncé. Une théorie à propos d'un système électronique permettant de prédire les numéros sortants a évidemment été émise, sans jamais pouvoir être prouvée –et sans convaincre les spécialistes.
Alors le journaliste Kit Chellel s'est lancé dans une enquête qui lui a pris six mois; et il en a conclu que non seulement il n'y avait pas de dispositif high-tech dans cette affaire, mais qu'en plus, il était visiblement possible de battre la roulette. Tout simplement.
«Je peux jouer nu»
Pour Bloomberg, Kit Chellel est remonté jusqu'à deux mathématiciens, Edward Thorp et Claude Shannon, qui tentèrent dans les années 1960 de mettre en place un algorithme permettant de prévoir les numéros gagnants. Pour eux, la roulette n'était pas qu'une affaire de hasard: c'était l'histoire d'un objet sphérique suivant un chemin circulaire, tout en subissant les effets de la gravité, de la friction, de la résistance de l'air et de la force centripète. D'où l'idée que mettre tout cela en équation était possible.
Ensemble, ils inventèrent même la première machine prédictive, forcément rudimentaire, mais qui, selon eux, était relativement performante. Niko Tosa et ses camarades disposaient-ils d'une version améliorée de cet instrument? C'est ce que les autorités ont tenté de déterminer lorsque, après avoir arrêté le trio sur demande de la direction du casino, elles ont saisi quatre téléphones et un PalmPilot, appartenant tous aux trois individus suspectés d'être des pros de la triche. Ce qui n'a jamais pu être démontré.
Au fil de sa longue investigation, le journaliste a rencontré de nombreux témoins des exploits de Niko Tosa, dont les témoignages l'ont peu à peu amené à croire que le Croate avait réellement du flair, et qu'en travaillant suffisamment sa pratique de la roulette, il devenait possible de la débarrasser en grande partie de sa dimension aléatoire.
«Je peux jouer nu», avait-il même déclaré à un commissaire qui souhaitait s'assurer qu'il ne disposait pas de la moindre assistance. Finalement, même si la scène aurait été éminemment cinématographique, elle n'a pas eu lieu, pour des questions d'attentat à la pudeur.
En tout cas, Niko Tosa a fait sa vie comme ça, d'abord en trio, ensuite en solo, jouant parfois sous de fausses identités pour ne pas être épinglé par des directeurs de casino trop craintifs, et devinant plus que quiconque quel numéro allait sortir à la roulette sans que quiconque ne puisse prouver qu'il y avait une once de triche dans sa méthode.