La Chine dispose de trois mètres de route par citoyen. La République démocratique du Congo, cent fois moins. Seules quatre capitales provinciales sur vingt-six sont reliées à Kinshasa, la capitale, par le réseau routier. Depuis 1994, la RDC subit par ailleurs un terrible conflit armé qui a provoqué –directement et indirectement– la mort de millions de personnes, sans parler des déplacé·es et réfugié·es.
Dans ce contexte très difficile, les affaires continuent néanmoins. Ici, deux grandes marques de bière se tirent la bourre: Bracongo, propriété du français Castel, et Bralima, qui appartient à Heineken. Elles sont produites sur place mais la difficulté consiste à les acheminer depuis la capitale jusqu'aux villages les plus reculés, en l'absence de routes.
L'option privilégiée consiste à emprunter les 4.700 kilomètres du fleuve Congo, qui traverse le pays. Il faudra par exemple une semaine pour effectuer les 387 kilomètres qui séparent Kinshasa de Bandundu, alors qu'une journée suffirait si une route existait. Un bateau peut transporter jusqu'à 500.000 bouteilles.
Le débit de l'eau
Cela pose plusieurs difficultés aux brasseries et aux sociétés de transport. Premièrement, les barges sont souvent arraisonnées par des hommes armés qui exigent le paiement de pots-de-vin (autour de 450 euros). Deuxièmement, une minorité de marins prolongent le trajet en rendant visite à des proches et se servent parfois dans les cargaisons.
Une fois arrivés à Bandundu, de plus petits bateaux prennent le relais pour approvisionner les établissements de boisson. Ils transportent aussi d'autres marchandises (charbon, huile de palme, cacahuètes, etc.) ainsi que des passagèr·es. La plupart dorment sur le pont, subissant la pluie et la chaleur. Les vaisseaux sont équipés de plusieurs générateurs électriques chinois, car un ou plusieurs d'entre eux finissent toujours par lâcher.
Bien que ces bateaux puissent transporter jusqu'à 150 personnes, la liste des passagèr·es en dénombre beaucoup moins. Cela permet d'exonérer le transporteur de sa responsabilité si quelqu'un ne figurant pas sur la liste tombe à l'eau. En raison de ces pratiques, le nombre de personnes qui se noient dans le fleuve chaque année est inconnu –mais les Congolais·es ne manquent jamais de bière.