Le nom vous est peut-être inconnu, mais il est probable que vous ayez déjà goûté le produit qui a fait sa fortune, la sauce d'huître. Celle-ci fut inventée par accident en 1888 par Lee Kum Sheung: l'homme a trop réduit la soupe de mollusques qu'il était en train de cuisiner et a, sans le vouloir, créé ce qui est ensuite devenu l'un des pilliers de la cuisine cantonaise.
L'erreur est humaine et celle-ci fut heureuse: près d'un siècle et demi plus tard, le conglomérat Lee Kum Kee est un empire familial valorisé à 15 milliards de dollars (13,6 milliards d'euros).
Il a, depuis sa naissance, largement dépassé le secteur de la sauce (trop) salée pour investir ceux de la santé, où il excelle, du capital-risque ou de l'immobilier –le groupe a acheté en 2017 la tour Walkie-Talkie à Londres pour 1,7 milliard de dollars.
Succession
Mais le conglomérat fait face à un problème: celui de la succession, question souvent épineuse en Chine. «La fortune ne dépasse pas la troisième génération», dit un proverbe chinois que reprend Bloomberg dans son article consacré à la dynastie.
Les recherches de Joseph Fan, spécialiste en finance à l'Université de Hong Kong, le confirment. Selon ses études, les querelles d'héritage sont responsables de l'évaporation de plus de la moitié de la valeur des entreprises chinoises publiquement cotées.
Lee Kum Kee a survécu aux quatre générations ayant succédé à Lee Kum Sheung. Dirigée depuis cinquante ans par Lee Man Tat, la dynastie a pourtant menacé d'éclater dans les années 1980, lorsque ses oncles puis son frère se sont engagés dans des bras de fer pour le contrôle du conglomérat, puis dans les années 1990, lorsque la crise asiatique a menacé de rompre les liens du sang.
Sous la houlette du patriarche Lee Man Tat, le groupe a alors mis en place un système de gouvernance sur-mesure, centré sur des liens familiaux rendus indéfectibles.
Une dynastie de 1.000 ans
Le but avoué: que l'empire vive 1.000 ans. Les jeunes générations sont éduquées en vue de prendre la succession, un conseil de famille a été créé en 2000 pour mettre en ordre l'ensemble des activités des un·es et des autres, des réunions et retraites collectives sont régulièment organisées.
Le droit du sang prime: seules celles et ceux appartenant à la lignée de Lee Kum Sheung disposent du droit de posséder des actions des enterprises du conglomérat. Les conjoint·es ne peuvent être embauché·es au sein du groupe et les plus jeunes, choyés et couvés, doivent acquérir leurs compétences à l'extérieur avant d'intégrer l'empire.
Cette longévité est «une chose que nous n'avons observée que dans quelques rares familles», indique Jennifer Pendergast, qui étudie ce cas d'école pour la Kellogg School of Management. Nous ne serons néanmoins pas là dans 1.000 ans pour vérifier si la constitution entrepreneuriale et familiale mise en place par Lee Man Tat a survécu aux époques.