Un document interne du bureau exécutif de Vladimir Poutine, auquel un consortium international de journalistes a eu accès, détaille la stratégie du Kremlin pour prendre le contrôle total de son voisin biélorusse. Selon cette note, Moscou veut créer, d'ici à 2030, un «État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie».
Ce plan a été élaboré conjointement par la direction présidentielle russe pour la coopération transfrontalière –chargée de contrôler les pays que la Russie considère comme appartenant à sa sphère d'influence–, les services de renseignement intérieur (FSB), extérieur (SVR) et militaire (GRU), ainsi que l'état-major des armées. Publié à l'automne 2021, il détaille les différentes mesures qui conduiraient à la vassalisation complète du pays de 9,3 millions d'habitants.
Le Kremlin prévoit ainsi «“l'harmonisation” des lois biélorusses avec celles de la fédération de Russie, une “politique étrangère et de défense coordonnée”, une “coopération commerciale et économique basée sur la prééminence” des intérêts russes et “l'influence prédominante de la fédération de Russie dans les domaines sociopolitique, commercial-économique, scientifique-éducatif et culturel-informationnel”», relate Yahoo.
Alors que Minsk appuie déjà l'invasion russe de l'Ukraine –sans engagement direct des militaires biélorusses au combat–, le plan du Kremlin prévoit également un commandement conjoint des deux armées et l'installation de dépôts d'armes russes sur le territoire de son voisin. La Biélorussie ainsi satellisée par Moscou représenterait une menace accrue pour l'Ukraine, mais aussi la Lettonie, la Lituanie et la Pologne.
Trois étapes, trois secteurs
Le document distingue trois étapes, à court (2022), moyen (2025) et long terme (2030) dans les domaines suivants: politique, militaire et industrie de la défense; «humanitaire»; et économie.
À court terme, Moscou souhaite par exemple accroître le sentiment prorusse au sein des élites politiques et militaires biélorusses, tout en limitant l'influence des forces «nationalistes» et «pro-occidentales». La Russie entend aussi poursuivre les réformes constitutionnelles du président Alexandre Loukachenko, à la tête du pays depuis 1994, lequel a notamment mis fin à la neutralité (théorique) du pays en février 2022.
Dès 2025, Moscou envisage de disposer de «groupes d'influence prorusses durables dans la politique, l'armée et le secteur privé biélorusses». La présence militaire russe en Biélorussie serait également accrue, et une procédure simplifiée permettrait aux habitants d'obtenir des passeports russes.
Cette stratégie de la passeportisation a déjà permis à Moscou d'intervenir militairement à l'étranger au prétexte que des citoyens russes étaient menacés, comme cela s'est vu en 2008 en Géorgie dans les républiques séparatistes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, puis à partir de 2014 dans l'est de l'Ukraine.
Sur le plan «humanitaire» –en réalité la «russification» et le contrôle de la société civile–, Moscou compte doubler le nombre d'étudiants biélorusses dans ses universités et ouvrir de nouveaux «centres de science et de culture» dans plusieurs villes biélorusses sous le haut patronage de la Rossotrudnichestvo, une agence étatique chargée du soft power russe à l'étranger, tout en finançant des «ONG» biélorusses pro-Moscou.
Enfin, d'ici à 2030, la Russie compte établir «le contrôle de l'espace informationnel», un «espace culturel unique» et une «approche commune de l'interprétation de l'histoire» en Biélorussie. Ce qui passerait notamment par la généralisation de l'utilisation de la langue russe.
Sur le plan économique, l'absorption de la Biélorussie supposerait que celle-ci adopte le rouble russe comme monnaie nationale. L'unique centrale nucléaire biélorusse, Astraviets, serait intégrée à un réseau énergétique commun, alors que Minsk est déjà très dépendant de Moscou, notamment pour son gaz. Enfin, le fret maritime biélorusse, qui ne dispose pas d'accès à la mer et passe aujourd'hui par les pays Baltes, serait redirigé vers des ports russes.