À en croire les producteurs et productrices de podcasts ainsi que les expert·es en la matière, les médias traditionnels ont loupé le coche: ils seraient passés à côté des nouveaux usages et ne se seraient pas suffisamment emparé des questions qui intéressent pourtant la jeune génération. Les sujets négligés et les professionnel·les, las·ses des obstacles, ont donc pris place sur les plateformes de podcasts.
Il y a quelques années, le podcast n'évoquait plus rien à personne –un gros passage à vide après les grandes promesses des débuts du format. L'engouement, aujourd'hui, semble total: malgré une économie qui avance encore à tâtons et des audiences balbutiantes, les podcasts explosent dans l'Hexagone et les studios de production se créent à un rythme effréné.
S'ils permettent d'écouter des rediffusions d'émissions de radio ou de découvrir des programmes natifs, les podcasts trouvent avant tout leur force dans un format inédit qui leur permet de s'émanciper des contraintes techniques et éditoriales classiques. En prenant à bras-le-corps des sujets de niche inexplorés par les supports traditionnels et en donnant la voix aux grand·es oublié·es des médias, ces «Netflix de la radio» tentent de rééquilibrer les rapports de force.
Mordu·es de podcasts
En replay ou en écoute exclusive, les podcasts sont à la radio ce que les plateformes de SVOD sont à la série ou au cinéma. Avec ses émissions audio téléchargeables sur smartphone ou en ligne, beaucoup s'attendent à ce que le modèle concurrence les ondes hertziennes, quand d'autres y voient le futur des programmes audio. Aux États-Unis, le format a été propulsé en 2014 avec Serial, un podcast d'investigation aux trois millions de téléchargements.
On a reçu plus de 400 candidatures la première année
Si Arte a été le premier média français à flairer l'opportunité il y a plus de dix ans, le véritable boom du format sur le territoire est récent. Conscients du potentiel d'un tel marché, les médias traditionnels se sont attelés à créer leurs propres émissions à la demande et les nouveaux acteurs du numérique se sont emparés du phénomène, frisant parfois le matraquage. Les indépendants et studios de production ne sont pas non plus restés sur la touche: qu'ils s'appellent Binge Audio, Nouvelles Écoutes, Louie Media ou encore Extimité, ils produisent, éditent et diffusent leurs propres contenus natifs.
Le dernier épisode d'Extimité, un podcast qui «donne la parole aux personnes minorisées» en les invitant à partager «leur récit de vie»
Ziad Maalouf, journaliste radio, formateur pour le Samsa et créateur de Transmission, «une école de radio libre, collective et gratuite» lancée en janvier 2018, confirme l'engouement: «On a reçu plus de 400 candidatures la première année».
Le succès des podcasts a donc fini par traverser l'Atlantique. Et pour cela, il faut remercier leur centralisation sur SoundCloud, Spotify (qui mise gros sur le format) et iTunes, où plus de 500.000 programmes seraient actifs à ce jour. Même si l'absence de statistiques officielles et complètes voile l'ampleur de l'engouement, certains chiffres montrent le succès des émissions audio à la demande. Médiamétrie comptabilise près de dix-sept podcasts téléchargés tous les mois par chaque féru·e de ce mode d'écoute. Quant au CSA, il assure que 20% des auditeurs de la radio écoutent des podcasts.
La liberté à tout prix
Pour les journalistes accoutumé·es à la hiérarchie des grands médias, les podcasts offrent une liberté quasi-totale. Indépendant·es ou rattaché·es à un studio partagent le même avis: l'absence de contraintes techniques, de grilles de diffusion ou de corrections à outrance garantit une place de choix à leurs idées. «C'est une liberté que je n'avais encore jamais expérimentée dans ma vie professionnelle», confie Victoire Tuaillon, productrice du podcast Les couilles sur la table chez Binge Audio.
Le dernier épisode des Couilles sur la table, un podcast qui «parle en profondeur d'un aspect des masculinités contemporaines avec un·e invité·e»
Le format est un terrain de jeu idéal pour les jeunes professionnel·les qui y trouvent un outil de diffusion accessible. Ces journalistes deviennent leurs propres rédacteurs ou rédactrices en chef et contournent les contraintes matérielles, s'autorisant au passage une liberté de ton inédite. Pour mettre en place Extimité, un podcast indépendant basé sur l'intime, Anthony Vincent et Douce Dibondo ont appris sur le tas, glanant sur internet des conseils techniques. «Tout n'est pas parfait mais c'est le prix de notre liberté et de notre authenticité», raconte le cofondateur.
L'heure est aussi à l'émancipation du côté des auditeurs et des auditrices. Profitant de la démocratisation des smartphones, le podcast, surnommé «balado» au Québec, éclate les rituels de consommation des émissions par sa diffusion à la demande. L'accès à l'information n'est plus contraint par le moment ni par l'endroit. «Je dois avouer que le format flatte ma paresse, car je peux écouter des podcasts dans les transports, en faisant le ménage ou en m'endormant. L'info vient à moi!», confie Clémentine Gallot de Quoi de Meuf?, un podcast hebdomadaire.
Le dernier épisode de Quoi de Meuf?, un podcast décrit comme «une conversation générationnelle et intersectionnelle sur la pop culture»
Un média en marge
On ne vous apprend rien, les femmes tout comme les minorités visibles et invisibles sont tragiquement sous-représentées dans les médias traditionnels. Quant à certaines questions prétendument sensibles, elles sont presque systématiquement ignorées sur les ondes et dans les colonnes des médias classiques.
Les journalistes, expert·es, créateurs et créatrices n'ayant pas trouvé d'écho à leurs idées se saisissent du podcast pour rectifier le tir. C'est le cas de Victoire Tuaillon, qui, après avoir essuyé de nombreux refus, s'est dirigée vers ce support pour porter son projet. «Quand j'ai lancé mon podcast il y a deux ans, les questions féministes n'intéressaient pas les grands médias. Il y avait deux obstacles: le fait que mon sujet (les masculinités) leur était inconnu, et le fait que j'avais 27 ans, pas d'expérience en radio. Aucun média ne m'aurait fait confiance ni n'aurait risqué de créer une émission de toutes pièces. Le podcast m'a permis de surmonter ces obstacles.»
Même constat chez Clémentine Gallot qui avoue qu'au «moment de la création du podcast en octobre 2017, il y avait encore peu de verticales féministes dans les grands médias. Le podcast se prête aux sujets de niche et amplifie des voix qui n'ont pas accès aux médias mainstream».
Plus il y a de niches, plus il y a de possibilités d'avoir une pluralité d'auditeurs
Les sujets de niche, comme la virilité, la sexualité féminine ou la mort sont persona non grata sur le service public. Les podcasts comblent ce désert thématique et s'emparent de tout ce qui se trouve en marge des codes médiatiques classiques: le ton se veut plus intimiste, la narration plus libre, et les questions et intervenant·es peu représenté·es libèrent une parole silenciée.
Des podcasts comme Kiffe ta race ou Extimité tendent le micro aux minorités quand d'autres comme Miroir miroir, Transfert ou Me my sexe and I portent des concepts et des contenus ciblés et parfois très pointus. Le tout permet de réunir des publics engagés qui partagent des intérêts spécifiques. Une caractéristique qui précipite le podcast vers sa perte? Pas forcément. Pour Douce Dibondo, «plus il y a de niches, plus il y a de possibilités d'avoir une pluralité d'auditeurs».
Qu'on ne s'y trompe pas, l'attrait des podcasts pour de tels sujets et l'engouement de l'auditoire est loin de traduire une démocratisation du modèle, qui peine à sortir de la niche et des grandes villes. Écouter des podcasts implique une démarche volontaire: on ne tombe pas sur une émission par hasard comme on tomberait sur un programme télévisé. C'est aussi une habitude très citadine selon Médiamétrie, qui révèle que «les CSP+ et les Parisiens sont largement surreprésentés parmi les podcasteurs (49% vs 30% des internautes et 25% vs 18%)».
Se raconter et s'écouter
Avec tous ces sujets intimes soufflés au creux de l'oreille et l'aspect immersif de l'écoute du podcast, rien d'étonnant si les auditeurs et les auditrices s'identifient facilement que sur un autre support. Grâce à la pluralité des thématiques abordées et à la bulle d'intimité créée, les féru·es du format s'offrent un moment privilégié pour en apprendre davantage sur des sujets précis. C'est aussi ce que suggère Douce Dibondo, qui voit le podcast comme un outil d'émancipation intellectuelle: «Ça te libère de tes préjugés. En écoutant la parole des autres, tu en apprends beaucoup sur toi».
Pour Anthony Vincent, le podcast ne permet pas seulement une libération de la parole, mais aussi de l'écoute: «On est une génération qui a été beaucoup racontée par ses aînés. Il faut nous laisser nous exprimer et dialoguer». Une célébration de l'écoute portée par le storytelling, un format narratif et conversationnel encore assez peu exploité en France, selon la cofondatrice de Quoi de Meuf?.
Si différent de la radio?
Si les podcasts tirent leur épingle du jeu grâce aux sujets dont ils se saisissent et à la liberté qu'ils offrent aux producteurs et productrices comme à celles et ceux qui les écoutent, il n'y a pas de grande révolution du côté de la structure, et la formule reste sensiblement la même. Ziad Maalouf regrette un manque d'originalité dans la forme, qui reste à 90% axée sur le studio d'enregistrement et ne sort pas des quatre murs. La productrice des Couilles sur la table ne voit pas non plus de changements formels radicaux introduits par le podcast, mais évoque des différences de style et de ton «qui ne passeraient probablement pas à la radio».
Quoi qu'il en soit, le modèle a retenu l'attention des médias traditionnels, qui prennent le tournant et créent leurs propres productions numériques, à l'exemple de Radio France et ses sept chaînes. Sans s'imposer comme le contre-courant radical de la radio, qui grappille encore une large majorité des audiences, le podcast a un bel avenir devant lui.
La création de plateformes de streaming, comme Sybel, dessine une solution pour un modèle viable et une éventuelle démocratisation. «Ceux qui pensent qu'on peut continuer à faire de la radio de la même façon se trompent, assure Ziad Maalouf, et ceux qui pensent que le podcast n'est pas de la radio se trompent aussi.»