Tensions sociales et difficultés économiques: l'aviation low cost cherche encore à stabiliser son modèle. | Fabrice Coffrini / AFP
Tensions sociales et difficultés économiques: l'aviation low cost cherche encore à stabiliser son modèle. | Fabrice Coffrini / AFP

«On doit faire huit vols en treize jours», les dessous peu reluisants des compagnies low cost

Les personnels profitent de la crise du secteur pour exprimer leur malaise et pousser leurs entreprises à évoluer.

Gardez votre ceinture attachée, l'aviation low cost traverse une zone de turbulences. Après les multiples grèves dans la compagnie Ryanair en 2018, Air France a annoncé début janvier la fermeture de sa filiale à bas coûts Joon, la compagnie Norwegian a communiqué sur un déficit d'environ 390 millions d'euros en 2018 et la compagnie islandaise WOW a brutalement mis fin à son activité, laissant 4.000 passagers sur le carreau. Des événements significatifs alors que la fréquentation de leurs vols n'a pourtant jamais été aussi forte.

Ryanair, qui reste leader des compagnies low cost en Europe a ainsi annoncé avoir transporté 139,2 millions de personnes en 2018. Un chiffre en hausse de 8% par rapport à l'année précédente. En novembre, la compagnie britannique EasyJet communiquait également sur une hausse de 10% avec 88,5 millions de passagers entre octobre 2017 et fin septembre 2018. De son côté, Norwegian, qui se positionne sur les long-courriers, a profité d'une augmentation de sa fréquentation de 12,4% en 2018.

Malaise social chez Norwegian

Des résultats qui permettent à ces compagnies low cost de s'installer à la table des mastodontes historiques que sont la Lufthansa ou Air France-KLM. Mais qui n'occultent pas le malaise de plus en plus perceptible au sein de ces entreprises. «L'ambiance au travail est horrible, les mauvais rapports entre direction et salariés provoquent une dégradation des rapports entre salariés eux-mêmes.» Ces propos sont par exemple ceux d'une employée de la base française de Norwegian, que nous avons pu recueillir.

Pourtant, quand la compagnie norvégienne a décidé, en 2017, d'ouvrir une base à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, elle se félicitait dans un communiqué de créer des emplois de qualité: «Tous les pilotes bénéficient d'un contrat de travail de droit français à durée indéterminée». Bref, d'être une entreprise où il ferait bon travailler. Pilotes et personnels navigants commerciaux (PNC, hôtesses et stewards) se sont ainsi laissés tenter par l'aventure.

On nous a répondu: «De toutes nos bases dans le monde, Paris CDG est celle qui coûte le plus cher. Donc estimez-vous déjà heureux».
Une employée de la base française de Norwegian

Deux ans plus tard, ils sont nombreux à déchanter. Salaires trop bas, plannings surchargés, management agressif, pressions de la hiérarchie ou encore managers injoignables; la liste des griefs est longue. Comme la goutte qui fait déborder le vase, une autre employée évoque un détail plutôt pénible: «Certains n'ont toujours pas d'uniforme complet. J'ai dû faire neuf mois avec un seul pantalon et une robe, c'est juste pour assurer les vols». Derrière l'anecdote, la sensation de l'impréparation de la compagnie. «On a l'impression qu'ils se sont dit “Tiens si on ouvrait une base en France?” le vendredi, et le lundi ils étaient là!»

Dès les premiers mois, certain·es tentent d'alerter la direction sur des irrégularités dans les contrats. «On nous a répondu: “De toutes nos bases dans le monde, Paris CDG est celle qui coûte le plus cher. Donc estimez-vous déjà heureux”.» Huit mois et un préavis de grève plus tard, des changements sont réalisés, un premier dialogue social se met en place. La direction des ressources humaines est alors remaniée et l'entreprise accorde la prise en charge de la moitié des frais de transport, des carences maladie (en partie), et une prime uniforme de 35 euros.

Malgré cela, les démissions se poursuivent et les revendications demeurent. «On doit parfois faire huit vols en treize jours, c'est trop, et trop mal payé», raconte encore une employée. Pour sa défense, Norwegian, qui n'a pas répondu à nos sollicitations, a longtemps déclaré attendre les élections du comité social et économique (qui remplace les comités d'entreprise) –des élections qui ont pris plusieurs mois de retard.

Air France: pas beaucoup mieux chez Joon

Le malaise de ses employé·es, Joon l'a aussi connu. La dernière-née du groupe Air France–KLM, censée attirer les fameux millennials avec ses PNC en polo/baskets n'a pas convaincu. «La marque a dès le début été difficilement comprise par les clients, par les salariés, par les marchés, par les investisseurs», résumait le groupe au moment d'annoncer la fermeture de sa filiale.

Joon a un statut un peu hybride. Elle n'est pas tout à fait une compagnie low cost, mais tente d'être plus productive que ses concurrentes classiques. Sa principale source d'économies concerne les salaires du personnel. Un chef de cabine chez Joon peut ainsi être payé 500 à 600 euros de moins qu'un simple PNC chez Transavia, nous explique Akli Benhamma, membre de l'intersyndicale de Joon. «Joon c'est la compagnie un peu à l'écart du groupe Air France, celle avec les pires conditions de travail.»

Contrairement aux autres sociétés du groupe, c'est la réglementation européenne, plus souple, notamment dans la définition du temps de travail, qui y est appliquée. Les plannings plus lourds sont mal acceptés par le personnel. Les chambres d'hôtels lors des escales, au Brésil ou au Portugal par exemple, laissent parfois à désirer. Le moral est bas dans les équipages et la fatigue gagne du terrain. Il faut parfois débarquer un membre de l'équipage pour ne prendre aucun risque en matière de sécurité. Au bout du compte, certains PNC renoncent même à leur CDD.

Bien que Joon fasse partie du groupe Air France-KLM, où le dialogue social est ancien et structuré, les revendications des salarié·es n'ont pas vraiment été prises en considération. «Il n'y avait pas d'accord collectif et on était au minimum de la législation. On était écouté par la direction mais il n'y a pas eu de réelles négociations.»

Alors fin 2018, l'intersyndicale a envisagé une grève pour demander une revalorisation des salaires. Elle n'aura jamais lieu: nouveau patron du groupe Air France–KLM, le Canadien Ben Smith annonce début janvier la fin progressive des activités de Joon. La compagnie n'aura pas eu le temps de souffler sa deuxième bougie et ses personnels doivent être intégrés à la maison mère en avril.

Du mieux, un peu

Portée par ses résultats commerciaux, Ryanair est loin d'être en danger mais la compagnie irlandaise a également connu une année 2018 agitée. En mars, une série d'annulations de vols en raison d'un grave problème de plannings de ses pilotes a révélé une nouvelle fois un malaise social profond au sein de la compagnie. Contrats de travail irlandais moins favorables aux employé·es, surcharge du nombre d'heures de vol ou menaces sur le personnel, Ryanair a été pointée du doigt pour ses mauvaises pratiques.

Sous pression, la compagnie a dû accepter de reconnaître des syndicats jusque-là inexistants. Malgré cela, les grèves se sont multipliées au second semestre. En juillet, un mouvement sans précédent des personnels de cabine a entraîné l'annulation de 600 vols en Belgique, Irlande, Italie, Espagne et Portugal, et affecté au total 100.000 passagers.

À la fin de l'année, la compagnie est finalement parvenue à conclure différents accords sociaux dans les pays concernés pour «normaliser» ses rapports avec ses salarié·es. La principale avancée pour les personnels de la compagnie constitue l'application du droit du travail du pays dans lequel ils sont embauchés.

Air France, c'est l'art de voyager «à la française», nous allons augmenter la qualité de nos services avec des repas de chefs, des salons voyageurs, des classes supérieures plus grandes et repensées dans les avions.
Porte-parole d'Air France

Cette question avait déjà fait polémique en France, après l'ouverture d'une base Ryanair à Marseille en 2007. Les personnels navigants avaient alors des contrats de droit irlandais et ne payaient donc aucune charge en France. Poursuivie en justice pour travail dissimulé, la compagnie avait décidé de fermer la base en 2011. Ironie de l'histoire, huit ans plus tard, alors que Ryanair a été forcée de reculer sur ce point, elle a annoncé son retour en France avec l'ouverture de trois bases: à Bordeaux, Toulouse et... Marseille.

En quelques mois, ces compagnies à qui tout semblait réussir ont donc dû évoluer. Chez Air France, la fermeture de Joon signe une montée en gamme de la compagnie. «Comme Ben Smith l'a dit, nous allons continuer notre rotation vers un service “premium”. Air France, c'est l'art de voyager “à la française”, nous allons augmenter la qualité de nos services avec des repas de chefs, des salons voyageurs, des classes supérieures plus grandes et repensées dans les avions», explique le porte-parole d'Air France.

La décision, prise par Ben Smith, marque une inflexion illustrée par la volonté de laisser dans le même temps sur le tarmac les images de conflits sociaux, de bousculades entre grévistes et cadres dirigeant·es. «L'idée, c'est qu'un dialogue social apaisé permet de faire des choses. [...] En allant vite, ça permet par exemple de simplifier la marque Air France.» La compagnie assure que la montée en gamme s'accompagne de meilleures conditions de travail, au travers d'accords avec les pilotes et les PNC.

EasyJet, le bon élève

Et parmi les compagnies qui persévèrent dans le low cost, toutes vont devoir s'adapter. Même chez l'Espagnole Volotea, décrite par beaucoup de PNC comme l'une des pires compagnies où travailler –personnel non-francophone, salaires bas, instabilité des plannings–, les sections syndicales se multiplient, la dernière en date s'étant créée à Toulouse en 2018.

«On assiste en ce moment à une espèce de consolidation dans le secteur», estime Arnaud Wiplier, président de la section EasyJet au sein du Syndicat national des pilotes de ligne. Selon lui, la situation évolue «mais les compagnies ne vont pas toutes à la même vitesse». Il vante ainsi le modèle de sa compagnie, qui depuis longtemps a décidé de jouer le jeu des contrats locaux.

Si tout n'y est pas optimal pour ses employé·es, avec notamment des cadences de travail très élevées, EasyJet apparaît comme un bon élève dans l'horizon du low cost. La formation continue, les équipements, les hôtels et les déplacements sont ainsi pris en charge par la compagnie britannique. Et malgré des rapports avec la direction parfois conflictuels, les syndicats n'ont pas appelé à la grève depuis plusieurs années.

«Mon souhait serait que les compagnies les plus extrêmes adoptent des modèles pour leurs salariés qui soient plus justes», poursuit Arnaud Wiplier avant de conclure avec espoir: «Il n'y a pas encore de compagnie low cost parfaite en Europe mais le modèle va trouver son équilibre».

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