Alliées de circonstance depuis le début de la pandémie de Covid-19, l'urgence sanitaire et la panique politique ne sont pas qu'une sombre nouvelle pour les populations touchées.
Pour certains laboratoires, elles permettent aussi quelques racourcis très profitables: ainsi de Gilead, concepteur du remdesivir qui, en 2020, a déjà vendu pour 873 millions de dollars [747 millions d'euros] de son fameux antiviral.
Commercialement vendu sous le nom de Veklury et initialement développé pour contrer le virus ebola, le remdesivir est si demandé qu'il a été, pour Gilead, le deuxième médicament le plus vendu ces trois derniers mois, derrière le Biktarvy, consacré à la lutte contre le VIH.
Autorisé en urgence au printemps par la FDA, l'administration américaine supervisant la mise sur le marché des médicaments, le Veklury a désormais reçu une approbation pleine et entière de la part de la même autorité. Il est ainsi devenu le premier traitement contre le Covid-19 officiellement autorisé aux États-Unis.
À sa manière, La Commission européenne a également adoubé le médicament en passant commande de 500.000 doses à Gilead début octobre. L'objectif est d'aider les pays européens qui pourraient avoir des difficultés à s'approvisionner, les États-Unis ayant préempté une partie des stocks disponibles.
Mais la publicité la plus bruyante faite au remdesivir est venue de l'homme le plus puissant du monde, Donald Trump, à qui les médecins ont administré la molécule lors de sa contamination par le SARS-CoV-2: difficile de faire marketing plus efficace.
Il y a néanmoins un hic, et de taille. La trajectoire de la molécule, dont ce quasi-milliard de dollars n'est que le commencement de profits bien plus larges, ne poserait aucun problème si son efficacité avait été solidement avérée par la science. Mais c'est loin d'être le cas.
Tout ça pour ça
Les études disponibles sont au minimim contradictoires et, en France, la Haute autorité de santé a qualifié de «faible» le service médical rendu. «C'est une autorisation troublante», déclare le docteur Peter B. Bach au New York Times. «C'est un ensemble très faible de tests pour approuver un antiviral.» Comme l'explique le quotidien américain, cette autorisation repose sur trois études: l'une payée par le gouvernement américain, les deux autres sponsorisées par Gilead.
Ces deux dernières n'ont pas jugé bon de comparer l'effet du remdesivir à celui d'un placebo –un habituel gold standard scientifique pour l'autorisation d'une molécule.
Ces trois études pointent une guérison plus rapide des malades. Du moins pour les personnes qui guérissent puisqu'aucun effet sur la mortalité de la maladie n'a été constaté –ce qu'a confirmé une autre étude, menée par l'Organisation mondiale de la santé mais critiquée par nombre de scientifiques pour son manque de solidité.
Dans le meilleur des cas, le remdesivir offre un léger mieux aux malades; dans le pire des cas, il n'est que source de possibles effets indésirables graves. Ces incertitudes n'empêchent pas Gilead d'en profiter déjà plutôt grassement, en attendant peut-être des bénéfices plus colossaux encore. Un «médicament médiocre mais un carton quand même», titre amèrement le NYT.
En mars, le laboratoire essuyait déjà des critiques en réclamant à la FDA un statut de «médicament orphelin» pour sa molécule, qui lui aurait fait bénéficier d'un régime fiscal très avantageux. En pleine explosion de la pandémie, la firme était également pointée du doigt lorsqu'elle fixait, pour les États-Unis, le prix d'un traitement typique d'une semaine à 3.120 dollars [2.670 euros].
Le Wall Street Journal expliquait alors que le coût de revient d'une dose de remdesivir ne dépassait pas les 10 dollars, tandis que Jacobin rappelait que Gilead avait reçu de larges subventions étatiques pour développer le traitement. Il n'y a certes pas de petits profits, pour les laboratoires pharmaceutiques comme pour les autres, mais le premier milliard du Veklury fera sans doute s'étrangler quelques gorges.