Dimanche 27 février, les mesures financières prises contre la Russie par les pays occidentaux et leurs alliés se sont multipliées. Après quelques heures d'atermoiements européens a été prise la décision de couper le pays et ses banques du système international Swift, rendant les flux financiers beaucoup plus complexes pour les entreprises comme pour les particuliers, notamment des oligarques directement visés.
Ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire évoquait à propos de cette mesure une «bombe nucléaire financière». Pourtant, les États-Unis, le Canada, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et la Commission européenne ont dans le même temps décidé d'aller plus loin, beaucoup plus loin, en imposant des sanctions directement à la Banque centrale de la Fédération de Russie.
Plus encore que la coupure du système Swift, ou en conjonction avec elle, ces mesures contre la Banque centrale russe pourraient couper l'économie du pays des systèmes financiers globaux et assécher les finances du pays –celles-là même qui lui servent, notamment, à financer sa guerre en Ukraine.
Rare dans l'histoire mais déjà prise dans le passé à l'encontre du Venezuela, de l'Afghanistan, de Cuba ou de l'Iran, la décision des pays occidentaux et de leurs alliés revient, selon un officiel américain interrogé par le Financial Times, à «mettre la Russie à la porte du système financier international» et à en faire «un paria économique et financier global».
Le nerf de la guerre
L'objectif affiché est d'empêcher la Russie de puiser dans le trésor de guerre total de 630 milliards de dollars (565 milliards d'euros) qu'elle possède dans ses coffres en avoirs divers (euros, dollars, or, yuan, etc.), et qui sont notamment le fruit de ses exportations énergétiques.
«C'est une frappe directe sur la capacité de la Russie à atténuer les effets des sanctions, car elle dépend de ses réserves pour cela», explique au FT Daniel Glaser, ancien du département du Trésor américain, pour lequel il a travaillé sur les questions de financement du terrorisme et des crimes financiers.
C'est donc, d'une certaine manière, la mère de toutes les sanctions: elle permettra à celles qui pourraient encore venir et viendront sans doute d'avoir un impact plus direct et profond sur l'économie et les finances de la Russie.
«Moins la Russie a de contrôle sur ses réserves, moins elle peut en faire quelque chose, plus elle sera vulnérable aux prochaines pressions», poursuit Glaser.
Le Financial Times note que ces réserves en devises sont l'un des piliers de l'économie russe. Une importante partie d'entre elles –300 milliards de dollars selon des chiffres cités par Bloomberg– résident dans les coffres d'autres banques centrales, aux États-Unis, en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, en Autriche ou au Japon.
Ne pas pouvoir y accéder et les échanger aurait une conséquence très directe: l'impossibilité de soutenir le rouble, dont la chute libre depuis le début de la guerre en Ukraine met déjà le pays, ses habitants dont le coût de la vie risque d'exploser et ses banques en difficulté.
Comme une prémisse de bankrun, panique bancaire précipitant la population vers les guichets et le retrait de liquidités, la filiale européenne de la Sberbank est notamment au bord de la faillite. Quant à la Banque centrale russe, elle a en urgence augmenté ses taux à 20% pour tenter de soutenir la monnaie nationale.
La Russie pourrait se tourner vers la Chine, par exemple pour lui vendre une partie des yuans dont ses coffres regorgent –ils représentent 13% environ des devises possédées par la Banque de Russie. Craignant des sanctions secondaires, cette dernière pourrait néanmoins faire la sourde oreille à de telles demandes. Le pays pourrait aussi essayer de vendre à certains amis une partie de son stock d'or, 2.299 tonnes, le cinquième plus gros au monde.
«J'ai confiance dans le fait que les effets de ces mesures vont être immédiatement ressentis par le système financier en Russie, déclare au FT un officiel américain. Des participants au marché comprennent que si la Russie n'a plus la capacité de soutenir le rouble, il s'effondrera.»
Les finances sont le nerf de la guerre. Outre de possibles remous sociaux en interne en cas d'effondrement économique, outre un soutien des oligarques, eux aussi visés, qui pourrait un peu plus se fissurer, les frapper aussi durement que rapidement pourrait constituer le plus puissant levier face aux visées de Vladimir Poutine.