Lors d'une téléconsultation, un seul de ces objets est nécessaire pour le médecin. | Rawpixel via Unsplash
Lors d'une téléconsultation, un seul de ces objets est nécessaire pour le médecin. | Rawpixel via Unsplash

Téléconsultation: médecine sans contact, médecine quand même

Les téléconsultations sont désormais remboursées par la Sécu. Une transformation loin d’occulter le corps des malades et de virtualiser leur relation avec le médecin.

Sur internet, on peut trouver un médecin près de chez soi, connaître les tarifs qu’il pratique, savoir s’il accepte la carte vitale et le tiers payant ou si l’on devra avancer les frais puis envoyer une feuille de soins, ou encore prendre rendez-vous en quelques clics. Mais ce n’est pas tout.

Des applications gratuites comme Qare (4,8 étoiles sur l’App Store et 242 notes, appli n°4 dans la catégorie «médecine») ou Livi (4,9 étoiles, 775 notes, n°3 dans la même catégorie) permettent de consulter un praticien depuis son smartphone ou sa tablette. Une consultation à distance, donc, qui permet la délivrance de médicaments si nécessaire et qui, depuis le 15 septembre 2018, est remboursée comme une consultation classique.

Un docteur sur la tablette

Étonnant, non? Sophie, 29 ans, a découvert l’existence de Livi sur Instagram. «J’y suis une personnalité qui est passée dans une émission télé. Elle disait qu’elle avait testé ça pour sa fille et qu’elle avait eu une ordonnance. J’étais super surprise! Comme je n’y croyais pas, j’ai téléchargé l’appli pour vérifier si ce n’était pas une blague.»

Cette «voie nouvelle» qu’est la téléconsultation, selon les termes de l’Assurance maladie, a vocation à améliorer l’accès aux soins, en luttant notamment contre les déserts médicaux et les délais de consultation trop longs. À condition notamment que la téléconsultation soit «mise en œuvre par vidéotransmission».

J’ai gagné beaucoup, beaucoup de temps. En moins d’une heure, j’avais mon rendez-vous, mon ordonnance et j’ai pu aller à la pharmacie.
Sophie, utilisatrice de Livi

Certes, «la vidéo permet d’affiner son diagnostic, de voir une plaie, une éruption, le fond de la gorge, et cætera, liste le docteur Laurent Haas, directeur médical adjoint de Livi. C’est d’ailleurs parce que les smartphones et tablettes ont une meilleure définition de l’image et permettent de se déplacer sur le corps qu’on ne fonctionne pas sur desktop, où les caméras sont de moindre qualité.» Reste que cette modalité ne permet pas seulement aux médecins d’examiner cliniquement les patients sur leur écran: elle constitue en fait le socle de ce rendez-vous médical 2.0.

Sophie a fini par téléconsulter à la suite d’une infection mammaire, une candidose [une forme de mycose, ndlr], qui l’empêchait d’allaiter correctement sa fille. «Pour avoir un rendez-vous avec mon généraliste, c’était dix jours d’attente. Je pouvais venir sans rendez-vous, mais en général, tu attends entre deux et trois heures.» Pas évident pour cette jeune maman de patienter si longtemps dans une salle d’attente avec son bébé. «C’est pour ça que j’ai décidé de tester Livi. J’ai gagné beaucoup, beaucoup de temps. En moins d’une heure, j’avais mon rendez-vous, mon ordonnance et j’ai pu aller à la pharmacie.»

Non, la palpation n'est pas toujours nécessaire pour établir un diagnostic médical juste. | Jesper Aggergard via Unsplash

Au menu de cette téléconsultation express, aucun examen clinique. «Il n’a pas demandé à examiner mes seins.» Pas de médecine au rabais pour autant: «Avec un interrogatoire bien conduit, on peut faire 80% des diagnostics», insiste le docteur Haas.

«Quand j’ai réservé le créneau de rendez-vous, on m’a laissé un endroit pour rajouter des infos, donc j’ai dit que j’avais une candidose mammaire, que c’était la deuxième et que je voulais une ordonnance avec du fluconazole, détaille Sophie. Quand j’ai vu le médecin à la vidéo, il m’a dit: “J’ai bien lu le petit résumé que vous avez écrit.” Puis il a validé mes symptômes: “Est-ce que vous avez les mamelons rouges? Quelles sensations ça vous fait?” Je lui ai dit que ça me brûlait dans les montées de lait et quand ma fille prenait le sein.»

La voix ne suffit pas

On pourrait alors avoir l’impression que la vidéo ne sert pas à grand-chose, si ce n’est à rassurer la patientèle. Car si la téléconsultation permet de réduire la distance géographique, quid de la «distance psychologique»? Ne pas se trouver dans le même lieu que sa ou son généraliste ne risque-t-il pas d’«altérer ce colloque singulier qu’est la relation de soin en face-à-face entre patient et médecin»? C’est ce que se demandaient dès 2013 des médecins dans un article au titre évocateur: «La télémédecine en questions».

Sophie réalise qu’elle appréhendait un peu cet échange en mode FaceTime, après des décennies à rencontrer des médecins dans le huis clos d’un cabinet. «Finalement, c’était plutôt naturel, parce qu’on a l’habitude de voir les copains, la famille sur son smartphone. Et là, c’était quelqu’un de plutôt bienveillant, chaleureux: ça m’a tout de suite mise à l’aise.»

Un sentiment renforcé par la vidéo. «Voir quelqu’un, quand même, ça humanise l’échange, je trouve, appuie l’utilisatrice de Livi. Après, le téléphone, ça pourrait aller. Mais bon, je préfère quand même la vidéo. Le tchat, par contre, on peut vraiment se demander s’il y a quelqu’un derrière.»

Le canal imagé permet d’améliorer la communication entre la patiente et le médecin consulté, abonde le docteur Haas, «surtout lorsque la communication n’est pas personnalisée au départ: on vient sur Livi, mais pas pour un docteur nommément choisi».

Sans approche tactile, mais avec tact

«Tout ce dont souffre la consultation à l’heure actuelle, le manque de temps et de disponibilité, la difficulté pour le patient à faire comprendre ses problèmes, on pourrait penser que la consultation à distance le rendrait encore plus compliqué», souligne Cécile Méadel, professeure de sociologie à l’Université Panthéon-Assas et spécialiste de e-santé.

Certains médecins nous disent qu’ils entendent et écoutent mieux leurs patients lors de la téléconsultation.
Dr Haas, directeur médical adjoint de livi

Comme si ce mode de communication allait automatiquement faire écran à l’échange entre le patient et son docteur. Mais des tests de consultation psychiatrique à distance menés en Angleterre ont montré que «le fait de ne pas avoir la personne en face de soi peut ajouter quelque chose et favoriser l’expression par le patient».

L’envoi d’un récapitulatif pré-consultation sur appli confère le même avantage, suppose la sociologue: «Elle permet aux patients de se concentrer sur les choses vraiment importantes pour eux pendant la téléconsultation.»

Si la prise de distance libère la parole des malades, elle peut aussi servir côté médecin. «L’avantage de la consultation à distance, c’est que tout passe par la parole: si on ne parle pas et n’écoute pas, il ne se passe rien, tandis que lors d’une consultation en présentiel, pendant les gestes d’auscultation, le médecin doit se concentrer et peut être moins à l’écoute», fait remarquer Cécile Méadel.

Un constat qu’appuie le docteur Laurent Haas, de Livi: «Certains médecins nous disent qu’ils entendent et écoutent mieux leurs patients lors de la téléconsultation. On leur donne un canal de connexion supplémentaire.» Sans approche tactile, mais avec plus de tact. Une nouvelle manière de renforcer le lien entre le soignant et sa patientèle.

Les limites de la distance

Il n’en reste pas moins que «les dispositifs de télémédecine sont […] perçus comme générant une perte d’information essentielle venant de la rencontre en face-à-face avec le médecin», écrivait en 2016 le généraliste Maxime Durupt avec deux confrères, une consœur et une doctorante en sociologie dans un article consacré aux représentations de la télémédecine qu’ont les généralistes en zone rurale.

«Téléconsulter supprime la première phase de consultation, qui commence dès la porte du cabinet franchie.» Aucune possibilité en effet de «visualiser les étapes pré- et post-consultation». Or «évaluer le comportement du patient auprès des autres personnes dans le cabinet, analyser sa démarche depuis la salle d’attente, son déshabillage sont des étapes qui constituent l’essence de la pratique de la médecine générale: les évincer revient à dégrader la qualité du diagnostic, mais aussi de la prise en charge».

Concurrent de Livi, Qare est présenté ici en deux minutes par son patron et fondateur, Nicolas Wolikow.

On peut comprendre ces craintes d’une partie de la profession. C’est pour cette raison que l’Assurance maladie oblige à alterner téléconsultation et face-à-face réel, ainsi qu’à inscrire la consultation à distance dans le cadre du parcours de soin, avec un médecin traitant référent qui connaît sa patientèle et peut interpréter une absence de sourire, une démarche plus lente ou encore des silences plus lourds qu’à l'ordinaire.

Le télémédecin est soit le médecin traitant qui, pour le suivi de maladies chroniques, des renouvellements d’ordonnance ou certaines pathologies choisit d’utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication, soit l’équivalent d’un médecin remplaçant.

L'indispensable sémiologie des corps

Bien sûr, toutes les pathologies ne peuvent être diagnostiquées par les seules écoute et observation. Une auscultation ou un contact humain s’avèrent parfois nécessaires. D’autant que la téléconsultation «responsabilise plus le patient que s’il est en face-à-face», pointe Cécile Méadel, vu qu’il est, au sens propre comme au sens figuré, moins pris en main.

Au télémédecin de jouer alors son rôle classique de soignant, en renvoyant vers une consultation classique, de la même façon qu’un généraliste indique qu’un rendez-vous avec un spécialiste devrait avoir lieu. «Le médecin m’a dit que ce serait quand même bien de prendre rendez-vous dans une semaine avec mon généraliste, pour vérifier le traitement en cours et éviter des récidives», témoigne Sophie.

La sémiologie, l’étude des signes et des symptômes, fait partie de la démarche médicale. La vidéo permet un face-à-face assez fin avec le patient.
Dr Haas, directeur médical adjoint de Livi

Mais ce que montrent surtout ces appréhensions du corps médical, c’est que, pour une meilleure prise en charge, il est nécessaire pour les praticiens de voir –même à distance– le patient ou la patiente, et pas seulement les manifestations sur son corps de la maladie. «Les médecins ont développé des compétences, qu’ils ont incorporées, pour interpréter les signaux corporels du patient», ajoute la sociologue.

C’est, au fond, pour cela que la vidéoconférence est obligatoire. Le directeur médical adjoint de Livi acquiesce: «La sémiologie, l’étude des signes et des symptômes, fait partie de la démarche médicale. La vidéo permet un face-à-face assez fin avec le patient.» Preuve qu’un rendez-vous médical ne se réduit pas, comme on a tendance à le croire, à un froid stéthoscope ou à une prise de tension, mais qu’il a une base audiovisuelle –que celle-ci ait lieu IRL ou passe par le cloud.

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